17/3/2016 – Paul BOUFFARTIGUE :
Les classes populaires aujourd’hui
Jeannine GRUSELLE :
Notion de classe chez Marx

Michel Gruselle ouvre la séance par quelques annonces. Tout d’abord, le CUEM envisage de publier les résumés des conférences. Ensuite, on travaille au programme de l’année prochaine 2016-2017 qui devrait s’ouvrir par une série de conférences consacrées aux luttes syndicales et aux luttes de classes aux usines Renault. La matière est très riche : historique, nationalisation, immigration et main d’œuvre immigrée, unité de la classe ouvrière. Peut-être en ferons-nous une sorte de “journée d’étude”…

Jeannine Morandat-Gruselle est Maître de Conférences honoraire en sociologie. Après une thèse, à l’Ecole Pratique des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS) sur la question du rapport entre pouvoir local et luttes de classes, sous la direction de Jean Lojkine, elle a travaillé à l’université Paris V René Descartes. Son activité de recherche, en sociologie urbaine puis en sociologie du travail, a été soutenue par des contrats avec des organismes publics (en particulier des programmes du CNRS) et des entreprises privées et associatives (par exemple Rhône-Poulenc, Écoles d’ingénieurs, UGICT-CGT…).

Paul Bouffartigue est Directeur de recherche au CNRS. Il travaille au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST) à Aix-en-Provence. Il a fondé le Groupe de Recherche CNRS « Cadres » (2000-2008). Il a publié de nombreux articles dans les revues scientifiques  et participe actuellement au comité de rédaction de la Nouvelle Revue du Travail. Parmi ses derniers ouvrages remarquables, notons : (1) Le Retour des classes sociales, inégalités, dominations, conflits, (collectif) 2005, La Dispute (nouvelle édition, 2015) ; (2) Cadres, classes moyennes : vers l’éclatement ? (collectif) Armand Colin, 2011 ; (3) avec Sophie Béroud, Henri Eckert et Denis Merklen, En quête des classes populaires. Essai politique, La Dispute, à paraître en 2016.

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En introduction Jeannine Morandat-Gruselle revient brièvement sur le concept de classes chez Karl Marx.

La pensée de Karl Marx est essentielle pour les scientifiques : philosophes, économistes, historiens, sociologues… puisque Marx travaille sur la société capitaliste européenne. Par exemple l’américain Robert Nisbet, peu soupçonnable de sympathie envers le marxisme, classe – dans son ouvrage la tradition sociologique[1] Karl Marx dans le groupe des pères de la sociologie.

Mais Marx est aussi un apport incontournable pour les militants qui travaillent à «l’abolition du salariat et du patronat», comme le formule la Charte d’Amiens: c’est un scientifique, mais c’est aussi un militant de grande envergure : n’oublions pas qu’il a, dès 1847, adhéré à la Ligue des Justes, devenue ensuite La Ligue des Communistes et qu’il a écrit, avec Engels, le Manifeste pour ce Parti au début de l’année 1848 (avant les révolutions qui ont secoué l’Europe). Il est également l’un des créateurs et l’un des dirigeants de l’Association Internationale des Travailleurs créée en 1864. Il est aussi l’un des militants du Parti allemand SDAP (Parti social démocrate des travailleurs) créé en 1869. Ses écrits militants : adresses, articles, brochures tous destinés aux militants ouvriers ; sa correspondance (avec Liebknecht, Bebel, Lassalle…) éclairent et permettent de mieux comprendre son analyse.

Remettre le nez dans ses écrits est un vrai bonheur car sa pensée est d’une extraordinaire modernité.

Qu’en est-il du concept de classe ?

Marx formule à de nombreuses reprises une affirmation très claire qui est fondamentale : la classe n’existe ni à priori, ni en soi, elle se construit en s’organisant pour défendre ses intérêts au quotidien et au delà, pour prendre le pouvoir pour servir sa cause. Son existence, son unité sont le résultat de luttes constantes.

Ainsi, du point de vue marxiste, se poser la question de savoir si tel ou tel groupe d’individus appartient à telle ou telle classe, peut être utile pour progresser dans l’analyse mais on ne peut réduire une analyse des classes à cette comptabilité. Les travaux sur la condition de tel ou tel groupe social (par exemple ceux de Stéphane Beaud et Michel Pialoux[2], sur la condition ouvrière) fournissent des éléments essentiels à la connaissance des réalités matérielles d’existence et de vécu de tel ou tel groupe social. C’est le terreau de la structuration de classe et il faut le connaître, mais cela ne suffit pas. De même, le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière (sur lequel travaillent par exemple Michel Simon et Guy Michelat[3] dans leurs enquêtes quantitatives et qualitatives sur les ouvriers et la politique) renvoie au « eux et nous » de l’Anglais Richard Hoggart[4], c’est à dire à la solidarité de l’entre nous et à l’hostilité envers les autres. C’est l’un des  germes de la conscience de classe et cela donne des éléments de compréhension des processus d’identification à telle ou telle classe. Mais là aussi une telle approche est insuffisante.

 

Dans les ouvrages de Marx on trouve bien sûr les termes ouvriers, classes ouvrières, bourgeoisies, etc…mais c’est à travers sa recherche sur le système de production capitaliste (et au delà dans sa réflexion sur les révolutions ouvrières) qu’il aborde la question des classes. C’est donc en partant de sa théorie sur le capitalisme, du fil conducteur de cette théorie que l’on peut saisir ce qu’il veut dire. Le fil conducteur de sa théorie, c’est l’appropriation privée des moyens de production et la division du travail. Revenons là-dessus.

 

Pour lui, la propriété privée (inscrite en France dans les constitutions depuis la déclaration des droits de l’homme d’août 1789) est le fondement de la division entre le capital et le travail car elle permet l’appropriation privée des moyens SOCIALISÉS de production et d’échange, par des individus, des familles, (Marx met hors de son analyse principale les producteurs individuels, ce qu’il nomme « petite bourgeoisie », c’est à dire les propriétaires qui vivent essentiellement de leur travail : artisans, commerçants, paysans parcellaires… petite bourgeoisie déjà en déclin à son époque, au moins en Angleterre). Cette appropriation privée est à l’origine des deux groupes sociaux fondamentalement antagoniques: les propriétaires des moyens socialisés de produire et les salariés (les uns disposent de la propriété, les autres sont obligés de vendre leur force de travail pour vivre). Il y a donc division structurelle entre les salariés et les propriétaires [les bourgeois]. Bien entendu le salariat est conçu par Marx comme « travailleur collectif ».

Pourquoi antagonisme de classe entre propriétaires et salariés ? Parce que cette privatisation des moyens de production met le propriétaire en position (dans la chaîne de production) de dominer et d’exploiter les salariés. Elle lui permet de s’approprier la force de travail des salariés (qui devient elle même marchandise) et d’accaparer les richesses créées. Si la valeur des machines, des matières premières, des bâtiments…se transfèrent totalement dans la valeur des marchandises, il n’en est pas de même pour la valeur de la force de travail qui est pourtant la seule capable d’utiliser les moyens de production disponibles pour produire des marchandises ensuite accessibles sur le marché. Ces propriétaires des grands moyens de production et d’échange achètent cette force de travail. Ils lui font produire PLUS DE VALEUR que sa propre valeur (dit de façon plus simple plus que son « prix » traduit par un salaire [versé – ne l’oublions pas- avant la vente de la marchandise]). Pour le dire autrement, ils font produire à la force de travail du travail gratuit, donc plus de marchandises à vendre que ce qu’ils déboursent pour acheter les machines, matières premières… et pour payer les salariés : c’est ainsi qu’ils accumulent des richesses et du capital. Les producteurs sont donc les producteurs du capital et ces industriels EXPLOITENT donc cette force de travail.

Le concept de VALEUR est donc le cœur de la théorie marxiste, y compris de sa conception des classes car il permet de comprendre ce qu’est le capitalisme, le processus de production capitaliste et la violence des rapports sociaux capitalistes de production. Les écrits de Marx sont très pédagogiques et le concept de valeur étant très abstrait, il développe beaucoup en raisonnant à partir de la marchandise, c’est d’ailleurs le titre du premier chapitre du livre I du capital (sa lecture, longue certes, n’est pas si difficile qu’on le dit).

L’accumulation du capital provient donc de l’accumulation de la valeur produite par le travail non payé, autrement dit par le travail gratuit.  Rappelons que Marx parle de la vente de la force de travail et non du travail ce qui est fondamentalement original par rapport aux économistes de son époque (par exemple Ricardo), mais aussi par rapport aux écoles économiques dominantes actuellement car cela met en cause la notion, très en vogue, de « coût du travail » (mais ce n’est pas l’objet de cette conférence). Dans cette recherche, c’est avant tout à la fraction industrielle de la bourgeoisie que Marx s’intéresse (même s’il parle aussi de la bourgeoisie foncière, de la bourgeoisie financière et de la petite bourgeoisie). Cette fraction de la bourgeoisie qui vit de la production industrielle est à l’époque dominante en Angleterre, elle le devient en France, et elle est au centre du mode de production capitaliste. Il ne traite pas de la bourgeoisie commerçante mais elle était encore au milieu du XIXéme siècle peu différenciée de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie industrielle (à Paris, le premier grand magasin ouvre en 1852).

De la même façon, parmi tous les salariés qui sont contraints de vendre leur force de travail, ce sont les PRODUCTEURS, directs et indirects – de marchandises, de valeur et de capital comme on l’a vu- qui sont au centre de sa théorie et c’est le terme qui revient le plus souvent et qui a le plus de signification dans son raisonnement. Pour Marx si l’on veut comprendre le capitalisme et ses crises, si on veut l’abattre, le producteur est la clé de voûte: il fabrique, il produit des marchandises matérielles ou des marchandises immatérielles (ces dernières étaient encore, pour l’essentiel, à venir). Sur cette question de l’immatériel Marx parle peu de la production de services cependant il nomme l’instituteur d’école privée… Rappelons qu’au milieu du XIX ème siècle le secteur des services étaient aux mains de la petite bourgeoisie,  Il n’y a donc rien d’étonnant à ce quasi silence mais cette référence de Marx au Maître d’école permet de vérifier que le concept de producteur chez Marx ne repose pas sur le type de métier exercé (boulanger, fileur, tourneur, coiffeur…) mais bien sur la place dans le processus de production et d’échange. Lorsqu’il parle d’ouvriers, d’ouvriers d’usines, des classes ouvrières, il faut replacer ces termes dans l’époque, les ouvriers étaient alors quasi les seuls producteurs salariés. Quant aux employés salariés, en particulier du commerce, ils étaient peu nombreux à l’époque. Eux aussi vendent leur force travail, eux aussi sont nécessaires au système de production capitaliste puisque seule la vente de la marchandise assure la continuité de la production capitaliste, eux aussi sont exploités par la bourgeoisie, mais ils ne produisent pas de marchandises, ni de capital : ils sont payés sur une partie de la réalisation de la valeur (lors de la vente de la marchandise).

La socialisation de la production et l’introduction de la machine – pour aller très vite dans l’histoire – modifient les processus et les conditions de travail, la DIVISION DU TRAVAIL explose sur la base des besoins de rentabilité maximum du capital (on peut lire par exemple Le Sublime[5]), elle  permet des gains de temps et donc une croissance du travail gratuit. Ce morcellement du travail divise les producteurs et les vendeurs mais aussi les producteurs entre eux: ouvriers, manœuvres, techniciens, ingénieurs… (Marx parle de ces deux dernières catégories tout en précisant qu’elles sont peu développées et qu’elles constituent une « classe supérieure d’ouvriers »). Dans cette division du travail salarié, Marx ne met pas tous les salariés dans le même sac. Il explique qu’ il y a – parmi les salariés – les alliés des capitalistes : ceux qui dirigent, surveillent, managent et encadrent : les officiers et sous officiers à la solde de la bourgeoisie.

Dans ce qui précède le concept de PRODUCTEURS est central, celui d’ouvriers peu utilisé. POURQUOI ? Tout d’abord parce que c’est bien du producteur quel que soit son métier et sa qualification dont parle Marx, mais aussi pour éviter d’alimenter le vieux débat centré sur l’idée que la classe ouvrière aurait aujourd’hui disparu avec l’introduction de l’informatique, de la robotique… Parlant des salariés, Marx explique qu’ils vendent leur capacité à travailler c.a.d « leurs mains et leurs cerveaux agissants ». On est loin de l’assimilation du travail ouvrier au travail manuel, conception reprochée à tort à Marx. Il conviendrait aujourd’hui de mesurer le processus de mondialisation de cette exploitation avec l’extension à toute la planète du travail ouvrier et du travail salarié, la disparition de la production individuelle indépendante et de l’auto-subsistance.

Après cette explication brève du sens à donner à l’antagonisme entre les bourgeoisies et les salariés, venons-en au concept de prolétariat.

 

Pour Karl Marx, le prolétariat c’est l’organisation en classe des ouvriers et au delà des salariés (ceux qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail). Cette organisation n’est jamais définitivement gagnée à cause de la concurrence entre les salariés (il y a aussi concurrence entre les fractions de la bourgeoisie pour l’accaparement de la plus-value, ce qui mériterait une autre note). Cette classe se structure à travers ses luttes au quotidien pour résister aux attaques constantes et défendre ses conditions de travail (en particulier, les salaires, la durée et l’intensité du travail) et ses conditions de vie. Il faut relire Le Capital, il y analyse en long, en large et en travers, ces offensives permanentes des bourgeoisies. Mais Marx insiste sur le fait que ces luttes quotidiennes ne suffisent pas. Au delà, le prolétariat, classe révolutionnaire, lutte pour conquérir le pouvoir politique (c’est le sens des luttes de classe chez Marx et cela devrait faire l’objet d’une autre note). Il a l’objectif de s’attaquer à la propriété et il se constitue en classe en combattant pour renverser la domination bourgeoise et en luttant pour l’abolition du salariat et pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse.

Pour conclure, une belle citation. Marx écrit en 1875 dans sa critique du programme de Gotha[6] « le prolétariat est une classe universelle porteuse de l’émancipation humaine »    

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Paul Bouffartigue : Les classes populaires aujourd’hui

Introduction

Paul Bouffartigue se présente comme un sociologue du – ou des – mondes du travail, ayant déjà une longue carrière au CNRS. Il rappelle sa rencontre avec Jeannine Morandat-Gruselle dans les années 1980, à l’occasion d’une série d’enquêtes qui intéressait l’UJIC-CGT et qui concernait la reproduction et la transmission d’une culture de classe dans un monde du travail alors en pleine mutation. Cette étude concernait ceux que l’on appelait alors “les jeunes diplômés”, qui étaient souvent perçus, dès leur premier emploi, comme “individualistes”, difficiles à syndiquer et à organiser collectivement. Ceci témoignait d’un changement, et même d’un changement radical, des formes de la conscience sociale. Ces enquêtes sont un exemple trop rare de rencontre entre le monde de la recherche et celui d’un acteur social majeur [la CGT].

Depuis ce temps là, P. Bouffartigue a accumulé les travaux “empiriques”, c’est-à-dire les enquêtes (il revendique d’ailleurs le titre de sociologue d’enquêtes) consacrées à des groupes sociaux bien précis, en l’occurrence les ingénieurs, cadres et travailleurs hautement qualifiés, plutôt que les ouvriers proprement dits. Mais périodiquement, il a éprouvé la nécessité d’intercaler entre ces travaux empiriques des moments de réflexions sur une question qui devenait par trop absente de la sociologie, à partir des années 80-90 : la question générale de la dynamique des rapports de classe et de la structure de classe de la société française. L’idée était d’entreprendre une synthèse articulant ce que disait la description des groupes sociaux et la dynamique de classe en termes d’inégalités, d’exploitation, de conflits dans une perspective marxiste, ou marxienne.

Cette préoccupation a débouché sur un ouvrage collectif paru en 2005, et intitulé “Le Retour des Classes Sociales” (réédité en 2015), qui a mobilisé une quinzaine de sociologues et qui avait l’ambition de tenir deux bouts… Il s’agissait, certes, de décrire les “grands groupes sociaux” (selon les définitions de l’INSEE, par exemple : les “couches moyennes”, ou “moyennes supérieures”, etc.) du point de vue de leurs caractéristiques objectives et de leurs conditions de vie, mais en introduisant la perspective d’une réflexion sur les classes sociales (le terme “retour”, dans le titre, traduisait une intention malicieuse, un “retour” après une absence?). L’originalité du livre – à côté de la description – était d’intervenir sur la question des conflits, des luttes et des mouvements. Mais comment les caractériser et les distinguer? Car il existe différentes sortes de luttes qui ne se décodent pas forcément comme des luttes de classes… Donc voilà les deux facettes de mon personnage de chercheur un peu engagé. Ce genre de travail se poursuit aujourd’hui avec les employés des Postes, les facteurs et les factrices.

Le problème des classes pour un sociologue

Après cette entrée en matière, P. Bouffartigue présente son ouvrage (qui doit sortir cet automne) “En Quête des Classes Populaires” (La Dispute). Un ouvrage réalisé avec trois collègues, Sophie Béroud (études sur le syndicalisme), Henri Eckert (travaux sur les jeunes ouvriers et le monde de la formation professionnelle) et Denis Merklen (travaux sur les classes populaires précarisées, et les banlieues). Ces études décrivent les formes actuelles de la contestation populaire, dégradation des biens publics et notamment de bibliothèques. Sont elles caractéristiques du comportement contestataire de la jeunesse prolétarienne d’aujourd’hui?

On peut rebondir ici sur ce qu’a dit Jeannine Gruselle qui a souligné l’existece de deux pôles : d’un côté l’identification objective de la classe par le rapport d’exploitation économique, et de l’autre côté la construction sociale et politique de la classe dans les luttes syndicales et politiques. La difficulté aujourd’hui, consiste bien à tenir ces deux pôles, pour amorcer des luttes qui sont essentiellement politiques, ce qui n’est pas simple du tout. Et pour cela, la référence à Marx est absolument essentielle, mais elle n’est pas suffisante car depuis son époque beaucoup d’auteurs, majeurs ou mineurs, sont intervenus en se réclamant explicitement de Marx pour actualiser ces questions (par exemple, Gramsci, Althusser, ou Poulantzas), mais aussi un certain nombre d’autres qui se sont placés en dehors du marxisme mais qu’on peut néanmoins mettre en rapport avec Marx (Foucault, Bourdieu, etc.) Ce serait un travail énorme, impossible, que de reprendre tous ces auteurs pour en faire la synthèse. Mais si quelqu’un y parvenait, il s’apercevrait sans doute de certains “blancs” dans les écrits de Marx dus, pour l’essentiel, à l’époque historique dans laquelle il a travaillé. Comme par exemple, la question de l’Etat, qui est restée très peu développée chez Marx car, au 19e siècle, l’Etat se réduisait en gros à ses fonctions régaliennes. Les fonctions de l’Etat se sont développées de manière considérable après la mort de Marx. Aujourd’hui, si l’on prend comme indicateurs la part des dépenses d’Etat dans le PIB, ou les emplois qu’il dépendent de lui, l’Etat s’est considérablement dilaté. Il existe des travailleurs de l’Etat dans beaucoup de domaines. Certes, les enseignants n’appartiennent pas aux fonctions régaliennes (ce ne sont pas des policiers) mais pour Althusser ils entrent dans les “appareils idéologiques d’Etat” qui jouent un rôle dans la reproduction des classes. En poursuivant l’inventaire des questions que Marx n’a pas pu aborder, on trouvera aussi (par exemple) les rapports de la domination paternaliste, les luttes féministes, et toutes les questions du colonialisme et du post-colonialisme… Il y aurait donc beaucoup à actualiser et tout cela donne un peu le vertige.

Donc, voilà : les classes sont des pôles dans les rapports sociaux et non pas des boîtes dans lesquelles on peut mettre des individus. Ici, P. Bouffartigue récuse une définition purement statistique des “classes-objet”, comme disait Bourdieu, (même si l’on est bien obligé de les utiliser, à la façon INSEE). Il y a une multiplicité de rapports sociaux au sein des classes, des rapports de genres et de génération… Les individus vont circuler dans ces rapports ne serait-ce que par l’âge et les responsabilités, on est enfant, ado, jeune adulte, adulte confirmé, puis on devient vieux, et tous cela change la position au sein de la classe.

L’idée marxienne qui semble à Paul Bouffartigue la plus féconde est la celle-ci : il n’existe pas de classe a-priori, la classe se construit dans des luttes, dans des rapports sociaux multiples. Cette idée est appuyée, par exemple, par Edward P. Thompson le grand sociologue et historien britannique, de la classe ouvrière britannique : “la classe s’est faite autant qu’elle a été faite“.

Une autre citation, issue d’un travail collectif de collègues qui s’inscrivent dans la continuité de Bourdieu et publié l’automne dernier, “De la classe ouvrière aux classes populaires” (un ouvrage en pleine résonnance avec nos préoccupations). Les auteurs y donnent une excellente citation de Sartre, lorsqu’il s’est rapproché du PCF en 1948 : “la classe se défait et se fait sans cesse, elle a besoin de la médiation d’un groupe qui se soit formé en son sein“. Ce groupe auquel Sartre faisait allusion, c’était évidemment l’élite ouvrière des militants communistes.

Ici, P. Bouffartigue lance une autre citation en voyant les générations rassemblées dans la salle, notre génération, guettée par un grand danger : la nostalgie. Citation d’un certain Gérard Genêt : “Attention à la nostalgie, qui est ce regret stérile d’un passé imaginaire.” On doit travailler sur les représentations d’un passé qu’on a toujours tendance à idéaliser. Pas facile, car certains événements sont propices aux reconstructions mythologiques. Les événements de 1968 sont de ceux-là qui ont été fondateurs pour beaucoup d’entre nous (P. Bouffartigue n’avait pas 16 ans, dit-il, mais il est toujours aussi fier d’y avoir participé). De tels événements peuvent faire rêver toute la vie, surtout si l’on croit possible le retour de ces grandes mobilisations…

Fin de l’Introduction qui situe le parcours et le contexte des travaux de P Bouffartigue avant son analyse du discours sur “les classes populaires”. [NB : le même contenu que celui d’un exposé qu’il a fait, la semaine dernière, à l’invitation de l’Institut Tribune Socialiste (fondé par d’anciens membres du PSU), un groupe qui se préoccupe également du retour [éventuel?] des classes sociales].

Genèse d’un nouveau discours sur les “classes populaires”.

Voici 3-4 ans, P. Bouffartigue venait de terminer un ouvrage collectif sur les classes moyennes, les ingénieurs et cadres et il a ressenti la nécessité de prolonger ce travail en direction des classes populaires, avec l’acquis des réflexions précédentes, et dans un segment de la sociologie très marqué par l’influence de Pierre Bourdieu. L’idée cependant, était celle d’un ouvrage plus engagé que d’habitude, pour se démarquer du discours académique (et de l’ouvrage savant évoqué plus haut, “De la classe ouvrière…” et publié récemment). Il fallait discuter cette évidence : l’existence des “classes populaires”. Nous avons donc, dit-il, choisi pour titre de cet ouvrage, “En Quête des Classes Populaires“, un titre qui demande explication.

Ce titre évoque en effet un enjeu important : le passage, au cours des dernières décennies, de l’expression “la classe ouvrière” (au singulier) à l’expression “les classes populaires” (au pluriel). Un passage qui ne va pas du tout de soi. Dans le langage politico-médiatique, il arrive encore (rarement) que des hommes politiques emploie l’expression “les classes populaires“, ce qui a du sens, à cause de la présence du mot “classes” au lieu de termes comme “les pauvres“, “les exclus“, “les banlieues“, etc. Mais globalement, on peut dire que les “classes populaires” (une bonne moitié de l’électorat) ont disparu des radars et qu’elles ne réapparaissent qu’à l’occasion d’un problème ou d’un conflit. Lorsque le pouvoir (par exemple, le PS) est un peu “bousculé” par des élections ou par tout autre type d’événement. Et si l’on remonte un peu plus loin en arrière, par exemple en 1995 avec la grève des transports, il s’est produit une clarification. Ce fut un moment-clé car, entre 1989 et 1990-91, tout discours inspiré de Marx et évoquant la “lutte des classes” était criminalisé, disqualifié. Et à l’université, il n’était pas du tout évident de maintenir un discours “classiste”. Mais à partir de 1995 (et de ces grèves) : Ouf! Tout à coup, la question des classes revenait.

D’où le livre “Le Retour des classes sociales“, que P. Bouffartigue et son équipe a publié en 2005 et réédité en 2015 avec une explication dans la Préface : ce ne sont pas “les classes” qui reviennent à proprement parler, c’est “la question des classes” comme référence en définitive indispensable pour comprendre comment les gens se définissent et se positionnent dans la société. [Qu’ils l’emploient ou la rejettent]. En gros, ce sont les mouvements sociaux qui mettent en marche des millions de gens ou des luttes politiques ou électorales imprévues qui autorisent un questionnement en termes de “rapports de classes”. Qui est mobilisé? Qui ne l’est pas?

S’ajoute à cela le développement explosif et insupportable des inégalités à l’échelle mondiale. Une petite minorité de milliardaires accaparent une fraction énorme des richesses tandis qu’à l’opposé, des milliards de gens sont toujours dans la survie. Tout le monde reconnaît l’existence d’inégalités de classes, de patrimoine, de ressources, au plan national comme au plan international. De moins en moins de gens le contestent, comme ils contestent de moins en moins que tout ceci soit lié au développement du capital financiarisé. A partir de là, il faut bien parler de classe : quelle est cette nouvelle classe parasitaire qui gouverne le monde?

Dans ce contexte, on voit aussi apparaître de nouvelle formes de mobilisation par les “réseaux sociaux” : je pense aux mouvements des jeunes (actuellement). “Pétitions #” (hachtag), mouvement des “indignés”, “révolutions” arabes, etc. mobilisation par les réseaux sociaux en marge des organisations syndicales Mais en même temps, et c’est l’aspect le plus préoccupant, ces mobilisations ne débouchent sur rien, ce qui provoque un reflux. Même par rapport à ces tout derniers mois où l’on pouvait croire (je l’ai écrit, confesse Bouffartigue) qu’en Amérique du Sud, au moins, certains changements étaient bien partis (Venuzuela, Bolivie, et même Brésil). Là aussi, nous voyons un reflux. Pour ne rien dire de la situation catastrophique des “révolutions” et du monde arabe, de l’Europe du sud, de “Podemos” en Espagne, de la situation de la Grèce, etc. On voit des mobilisations considérables, mais sans traduction politique positive. Au contraire, même : on assiste à une montée de l’extrême-droite et des grilles de lecture identitaires. Pour André Tosel, il y a conflit entre deux conflits : identitaire et social (ou classiste). Dans son dernier livre, Roger  Martelli, lance un message qui est un cri d’alarme : les conflits identitaires conduisent à la guerre.

L’ouvrage “En quête des classes populaires” comporte trois parties :

  1. Constitution de la classe comme sujet, et comme sujet politique. Partie historique.

Cette partie, rédigée par Henri Eckert, veut comprendre (a) comment s’est construite, en France, la classe ouvrière, une entité sociologique hétérogène, en partie mythifiée, mais (b) qui exerce un effet d’entraînement syndical et politique, grâce à la CGT et au Parti communiste, qui deviennent un acteur social et politique majeur dans l’histoire de notre pays.

Soulignons que la première question garde toute son actualité. Comment se construitet se déconstruit – cette “classe ouvrière” française ? L’étude insiste sur cette dualité, ce  double visage de la classe ouvrière : à la fois groupe social susceptible d’une description objective (sociologique, culturelle, etc., c’est la classe “en soi”) et acteur politique qui suppose la convergence des volontés individuelles conscientes (c’est la “classe pour soi”).

Si l’on veut risquer une définition : du côté objectif, on parlera “d’une communauté de conditions et de destins“, et de l’autre, on verra des formes d’identité et de “conscience” plus ou moins élaborées. Cette conscience peut aller jusqu’à l’ambition de conquérir le pouvoir (classe ouvrière), ou de le garder (dans le cas de la classe dominante). Comme le montrent bien nos amis Pinson-Charlot, les individus appartenant à celle-ci manifestent sans ambiguités cette ambition et cette conscience de la classe “pour soi”. L’actualité en fournit un exemple extraordinaire : le “communautarisme” et le racisme de classe de la (grande) bourgeoisie française du 16e arrt de Paris mobilisée contre le projet de la Mairie de Paris d’héberger des réfugiés syriens au Bois de Boulogne. Levée de boucliers caractéristique du racisme et de la haine de classe à Neuilly. Cet exemple montre clairement que la classe se construit (ou se renforce) d’abord en opposition à quelque chose : “eux et nous”. Voir, par exemple la “culture de pauvre” de Richard Hoggart. A sa manière, Alain Touraine était (presque) marxiste en faisant allusion aux trois moments de l’identification : (1) identification négative, (2) identification positive et (3) identification comme sujet politique à part entière, c’est la revendication d’une “historicité” : la classe se veut porteuse d’avenir pour toute la société.

Ici, Roger Martelli aurait sans doute beaucoup de choses à dire sur le fait que la constitution de la classe comme sujet politique est tout sauf quelque chose d’évident. Et ceci nous amène à d’importantes questions subsidiaires : pourquoi, a-t-on eu des Parti communistes en France et en Italie? et pas dans d’autres pays comme l’Angleterre (en Allemagne, on ne sait pas : il y a eu le nazisme)… Roger Martelli a beaucoup réfléchi sur les traditions locales qui ont facilité ou freiné les idées communistes. Par exemple, chez nous les traditions plébéiennes issues de la Révolution Française qui ont facilité l’accueil des idées de la Révolution d’Octobre, ont permis de créer le nouveau Parti communiste et d’installer une “tradition bolchevique française” qui était au départ un phénomène d’importation.

On trouve un début de réponse dans les travaux de Bernard Pudal et de Julian Mischi sur le rôle des écoles du PCF et des formations de militants. Dans un article récent Pudal évoque la nécessaire représentation des classes populaires par une “élite” endogène que ces classes doivent créer sous peine de n’être jamais représentées. Il analyse les trois “figures populaires”, le dirigeant (militant) communiste, le prêtre et l’instituteur, qui structuraient autrefois la scène idéologique. Trois figures d’origine populaire qui toutes les trois entrent en crise en même temps.

Ces idées, on les trouve aussi chez Julian Mischi “Le communisme désarmé : le PCF et les classes populaires depuis les années 1970” (Agone, 2014). Mischi explique comment le PCF n’a plus été capable, à partir d’un certain moment, de produire des dirigeants d’origine populaire. A partir de ce moment, les couches populaires n’ont plus été représentées et la question de la “représentation populaire” a disparu de l’agenda de ce parti, mais aussi des autres partis (PS notemment).

Réflexion très importante : il est clair que la constitution historique de la classe n’a rien d’automatique. Aujourd’hui, on a des mobilisations, on a des militants, y compris chez les précaires de banlieue, mais jusqu’ici ils sont restés, à la porte, des partis, et du PCF en particulier. Ce qui explique peut-être pourquoi ces mouvements ne débouchent sur rien.

Ce qui nous amène alors, dans la suite de cette réflexion, à rechercher et à discuter les faiblesses anciennes du mouvement ouvrier depuis la constitution du PCF dans les années 20.

On évoquera un piste possible avec Bruno Trentin “La Cité du Travail : le Fordisme et la Gauche” (Fayard,  2012, éd. originale italienne 1997) est une histoire du mouvement ouvrier avec une réflexion critique sur le travail et ce moment crucial des années 1920 où le mouvement ouvrier a accepté le “compromis fordien” qui focalise l’attention sur les salaires et la redistribution et “oublie” les revendications centrées sur le procès de production, les conditions de travail, la taylorisation, les cadences, etc. Trentin associe ce moment à l’organisation verticale des Partis communistes (“ceux d’en haut et ceux d’en bas”) et au dédain des courants autogestionnaires [qualifiés “d’anarchistes.”]

Trentin (militant italien de la CGIL, décédé en 2007) critique cet enfermement dans le courant fordien qui a été cause d’occasions de rencontre manquées entre le mouvement ouvrier et les intellectuels (par exemple, le mouvement de mai 1968 à Paris). Ainsi, la critique sociale des ouvriers n’a pas rencontré la critique “culturelle” des intellectuels bourgeois éduqués. Le malentendu se prolonge aujourd’hui avec l’absence de connexion entre le mouvement ouvrier et le mouvement écologique. Pourtant, la critique écologique aurait tout à gagner à faire converger les luttes de producteurs agricoles et celles de mouvements de consommateurs. Un domaine où il est même possible de marquer de points avec des luttes victorieuses.

Pour finir, P. Bouffartigue cite rapidement au passage d’autres faiblesses, d’autres impensés, ou refoulements, au sein du mouvement ouvrier (au sens très large, c’est-à-dire syndical et politique), en particulier l’indifférence vis-à-vis des rapports de domination de sexe et vis-à-vis de l’immigration et du racisme. Ainsi, en grande partie, les discriminations vis-à-vis des femmes et des immigrés étaient reproduites pas une sous-représentation dans la hiérarchie de ces organisations. Ces problèmes de l’immigration et des immigrés, comme la contestation féministe de la domination patriarcale n’ont pas été pris en compte, n’ont pas été intégrés aux revendications et les représentants immigrés et feministes n’ont pas eu toute leur place au sein des instances dirigeantes du mouvement ouvrier. En conséquence, ces mouvements se sont développés à l’extérieur du mouvement ouvrier et ils n’ont pas eu la force qu’ils auraient dû avoir.

  1. Les classes “populaires” (P. Bouffartigue, auteur principal)

Paul Bouffartigue pose cette question : si l’on parle toujours des classes populaires au pluriel, ce pluriel sous-entend que l’on est dans un monde éclaté, atomisé, dispersé, avec le risque de ne pas pouvoir faire converger quoi que ce soit. Où sont les possibilités, les facteurs, d’unification? D’autant que les dirigeants et les média s’emploient à opposer tout ce qui peut l’être, comme par exemple l’opposition blancs et non-blanc qui n’est jamais très loin.

Il y a le non-dit [“politiquement correct”] d’une “classe populaire blanche” des campagnes et des zones pavillonnaires lointaines qu’on oppose aux “banlieues”, nettement plus “colorées”. Dans la première, on a surtout des employés de bureau, tandis que dans les banlieues, au sein d’une “classe populaire colorée”, on a surtout des métiers manuels. On voit bien la tentative politique extrêmement dangereuse d’opposer ces deux “classes populaires”. Bien sûr, la distante est énorme entre les extrêmes, entre le pôle des employés de bureau et celui des “gens des banlieues” qui survivent dans l’économie parallèle. Mais si on étudie tout cela avec les outils statistiques et sociologiques adéquat, cette dichotomie (comme d’autres dichotomies) est très artificielle. Un indicateur intéressant, “qui vit avec qui?“, montre l’absence de fracture entre une “classe populaire” soi-disant “stabilisée” et une autre qui serait “précarisée“. On voit des employés de bureau qualifiés qui vivent avec des femmes de ménages ou des personnels de service non-qualifiés. Ces résultats s’opposent absolument à l’idée d’une fracture entre qualifiés et non qualifiés, stabilisés et précarisés. En fait, la précarisation n’a pas de limites fixes. Elle frappe de façon certes différenciée, mais très largement. Elle frappe aujourd’hui des catégories nouvelles. Une nouvelle question apparaît donc : quelle différence cela fait-il pour les classes populaires d’aujourd’hui par rapport aux classes populaires d’hier? En particulier vis-à-vis de la “féminisation” des métiers. Notre collègue Danièle Kergoat affirmait, dans les années 1970 : “la classe ouvrière a deux sexes et on l’a oublié“. [NbVoir son livre, “Se battre, disent-elles“, La Dispute, 2012… et cette phrase qui résume : “Ouvrière n’est pas le féminin d’ouvrier“]. Il y avait alors deux grandes raisons : (1) les phénomènes de domination masculine, mais aussi (2) le fait que la présence des femmes dans le monde ouvrier n’était pas un phénomène continu et toutes les femmes n’étaient pas concernées. Aujourd’hui, par rapport à ces années 1960-70, les femmes sont complètement entrées dans la vie active et la représentation des classes populaires ne peut plus être la même. La moitié des ouvriers et employés sont des femmes. Elles ne sont plus seulement femmes d’ouvrier ou d’employé, mais ouvrières ou employées elles-même, et cela change beaucoup de choses.

Ce qui nous amène au fait que certaines fractions des classes populaires sont assignées à un territoire, elles sont captives, “enclavées” en quelque sorte. Ce sujet de réflexion, les problématiques “d’enclavement” et de “désenclavement”, sont riches de situations paradoxales. Le logement peut être enclavé mais, avec Internet et la TV, on a des phénomènes de “désenclavement” culturel. Par contre, pour ceux dont les revenus sont apparemment meilleurs, le logement à la campagne, chacun dans sa petite maison, crée de nouveaux problèmes. On voit des déserts culturels et de nouvelles souffrances liées à l’isolement. Mais surtout, les études montrent que les catégories d’ouvriers qui se sont le plus développées dans les dernières années sont celles des métiers des transports. Or ces travailleurs des transports sont quotidiennement en contact avec d’autres catégories de travailleurs, d’autres “couches populaires”, ce qui n’était pas le cas des ouvriers d’usine autrefois. On a donc aussi un désenclavement qui résulte de l’évolution du travail, le travail productif laissant de plus en plus la place aux services.

III. Les classes “populaires” : Enquêtes (Sophie Béroud et Denis Merklen)

Cette partie est la plus passionnante. Après tout, pourquoi ne pas reprendre cette notion de “classe populaire”, ou la “classe laborieuse”, ou “les travailleurs”. Mais au-delà des mots, quel est le sens. Imaginons-nous demander aux gens, dans une enquête sur le sentiment d’appartenance : “Vous sentez-vous faire partie des “classes populaires?”… La réponse est bien incertaine. Pas sûr que les gens répondent “oui”. Et ceci contraste avec les réponses d’il y a cinquante ans. Dans les enquêtes de Michel Simon, dans les années 1970, la réponse : “oui, oui! on fait partie de la classe ouvrière!” n’était pas rare du tout. Il y avait une auto-identification très forte avec le monde ouvrier. Or les syndicats “ouvriers”, aujourd’hui, parlent des “gens” et non plus de la “classe ouvrière”. Alors à force se s’entendre appeler “gens”, les gens…

On touche le fond du problème. Celui devant lequel nos collègues – même les plus progressistes – hésitent : relier cette notion de “classes populaires” aux rapport de domination, à l’exploitation, et par conséquent aux luttes de classes. Comment penser les “classes populaires” d’aujourd’hui en termes de luttes de classes? On n’a pas trouvé d’autres moyen que d’examiner comment les classes populaires se mobilisent. C’est l’apport de Denis Merklen qui nous dit : attention, il faut lire toutes les conduites sociales et pas seulement le vote, l’adhésion à un parti, etc. Tous les comportements expressifs dans l’espace public sont porteurs d’une signification politique… Certains diront infra-politiques, ou proto-politiques. Par exemple, les grafitis, les révoltes (et les destructions) des jeunes de banlieue ont évidemment cette signification. Car c’est une forme de protestation publique contre un sort perçu comme injuste, un sort de citoyen de seconde zone. Si l’on est capable de lire ces manifestations et de les prendre pour ce qu’elles sont, on pourra peut-être établir la communication avec ce qui ressemble tout de même à un “prolétariat”. Pourquoi pas? Après tout, les mots ne s’usent que si on ne s’en sert pas.

Ensuite, dans cette partie rédigée par Sophie Béroud puis par Denis Merklen, on a cherché les catalyseurs possibles d’une conscience politique. Comment se construit le rapport à la politique? Etant donné que, sur les partis politiques (PCF) il n’y a plus grand chose à dire, après le travail de Julian Mischi, Sophie Béroud est allée examiner le problème au niveau de la base sociale de la CGT. Mais aussi au niveau des luttes des salariés, particulièrement de celles des employés et même des employés du secteur public. Car il est vrai que ces catégories sont bien représentées à la CGT alors que celle-ci est actuellement peu ancrée chez les travailleurs précarisés. Ce problème est d’ailleurs à l’ordre du jour des congrès de la CGT depuis longtemps : comment “redéployer” l’action syndicale et reconquérir les “déserts syndicaux”? Ces larges secteurs d’employés de PME qui enchaînent les boulots mal payés en passant d’une boîte à une autre… Mais faisons aussi l’inventaire des luttes qui se développent parfois dans des secteurs précaires (travailleurs sans-papiers, femmes de ménage de l’hôtellerie, jeunes de la restauration rapide, etc.). Dans des secteurs que l’on n’attendait pas, et avec des catégories que l’on croyait perdues pour la lutte revendicative. Eh bien non. Ces luttes démentent les prévisions les plus pessimistes : les gens ne se résignent pas.

Et pour finir cette 3e Partie, Denis Merklen examine ce qu’il appelle la “politicité” pour souligner le fait qu’on n’a pas d’abord socialisation dans un certain milieu, puis apprentissage de la politique. Non : la politique vient tout de suite, elle est d’emblée présente avec les rapports sociaux. Dans ces enquêtes en banlieue, il constate que les habitants doivent se battre tous les jours pour faire valoir leurs droits. Ce qui se traduit (malheureusement) par des conflits entre les habitants et ce qu’on appellerait “la main gauche” de l’Etat, les travailleurs municipaux et sociaux, les employés de la scolarité, etc. Tous ces petits fonctionnaires des services sociaux qui sont tous les jours obligés de gérer la pénurie des services publics et donc amenés à refuser des services ou des aides. Pour Denis Merklen, ceci pose une question centrale. Dans ces quartiers, les gens ne sont plus confrontés directement au capital, puisqu’il n’ont qu’un rapport épisodique avec le travail salarié. Cependant, la confrontation existe avec la police, avec les services publics défaillants, avec les moyens d’accès à la citoyenneté. Même les conflits avec la police peuvent être générateurs de citoyenneté. Tel est le message de Denis Merklen avec la “politicité : c’est un modèle (politique) de revendication de l’accès à la citoyenneté…

Conclusion : Est-ce que la catégories “précarité” ou “précarisation” peuvent-elles aider à construire du commun dans les classes populaires d’aujourd’hui qui sont toutes exposées au travail précaire. Voila des question assez énormes, et même monstrueuses, et qu’on aimerait partager avec vous.

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Discussion

Q1 : (Maurice Cukierman) Il faut souligner ce qui paraît fondamental, comme l’a dit Jeannine, la production et le producteur. De ce point de vue, la démarche de Toni Negri (que je perçois en filigrane dans votre exposé) est une démarche qui divise. Il faut savoir séparer ce qui est essentiel de ce qui est secondaire, en l’occurrence les femmes, le patriarcat, etc. Déjà, Engels démontait la question du patriarcat évoquée par Dühring… Les questions relatives aux banlieues, à l’immigration, aux femmes se rapportent-elles à ce qui est commun (aux classes populaires laborieuses) ou à ce qui est marginal (et qui touche plus au “lumpen-prolétariat”). Etant enseignant, j’ai été frappé de ce que les enfants de ces gens des banlieues voulaient être flics. Ma question : quels sont, et où sont, les enjeux de classe? Il y a une dualité (de ce qui est extérieur à ces enjeux) lumpen-prolétariat / aristocraties ouvrières.

Q2 : (Paul Fraisse) On peut répondre à cette question : on n’est pas sur le même terrain. Voyez ce qui unit tous les exploités. L’évocation des immigrés et des rapports coloniaux complique les rapports de production capitalistes et les relations avec les travailleurs mais ne les remplace pas. Certes, l’essentiel, c’est ce qui unit, mais il faut tout de même comprendre aussi les divisions, voire les différences légitimes (qui peuvent être des facteurs de mobilisation). Bref il y a un certain nombre de rapports secondaires et complexes [en plus du rapport fondamental].

Q3 : Un commentaire sur l’effacement du PCF et la disparition de URSS. Sans question.

Q4 : (Sylvain X). Je suis un ouvrier et j’ai travaillé chez Renault de 15 à 57 ans. J’ai eu une chance extraordinaire. J’ai fait les écoles du Parti, la petite et la grande où l’on ne travaillait que sur deux thèmes : Marx et Lénine. Marx pensait que le basculement au mode de production socialiste ne pourrait se faire que globalement. Je ne partage pas l’idée que 1917 a été ce basculement global. On doit donc reprendre le problème au niveau de Marx, en l’enrichissant. On commence à peine à mesurer le traumatisme qu’a représenté l’effondrement de l’URSS. Or le nouveau départ se fait attendre! Robert Hue a ouvert toute grande la porte au réformisme en déclarant : “pas de politique à l’entreprise!” Repartons de Marx !

Q5 : (X) Les sociologues sont déroutants ! Vous avez donné beaucoup d’éléments qu’on a du mal à mettre ensemble pour trouver une conclusion. Mais la question “Q1” est trop schématique avec son évocation du “lumpen-proletariat”. Les problèmes actuels ne se résument pas à ça. Dans les anciennes banlieues “rouges”, on a aujourd’hui 70% d’abstention, et à St Denis, le FN n’a eu que 10%. Aujourd’hui, il y a dans la jeunesse de ces banlieues-là, les ferments de la révolte capable de “faire” un mouvement authentique.

Q6 : (Michel Gruselle) Vous avez fait allusion à Bruno Trentin. Dans la même veine, on voit actuellement un “retour très fort” du thème de la “redistribution”. Je le vois à la CGT (et au PCF). L’idée du partage a obscurci les rapports d’exploitation. Comment les ramener au premier plan?

Q7 : (Ouvrier retraité) J’ai eu un parcours compliqué, ouvrier, chômeur, précaire, etc. Mais dans ces expériences, j’ai toujours vu beaucoup d’unité entre ouvriers et employés. Par contre, on ne peut pas en dire autant de la conscience de classe pour laquelle il faut un Parti et des objectifs. Je conteste la critique (Q1) avec l’argument du “lumpen-proletariat”. Par ailleurs, sur la question du taylorisme [le “fordisme”, selon Trentin], il faut rappeler que le PCF, dans les années 1920, était contre le taylorisme. Et puis… et puis, les objectifs ont changé : on a accepté le taylorisme en même temps qu’on espérait (ce qui est fou) arriver au pouvoir par la voie électorale, ce qui est logique si on comprend que le Parti est devenu objectivement l’instrument d’une aristocratie ouvrière. A Stains, les vrais ouvriers s’abstiennent [de voter] à 80%.

Q8 : (Jeannine Gruselle) Question : l’abstention n’est-elle pas une forme de résistance? N’oublions pas qu’au 19e siècle, les ouvriers brisaient les machines. La résistance n’est pas “gentille”. Il a fallu plus d’un siècle pour que la classe ouvrière existe et se donne un parti révolutionnaire. Même chose aujourd’hui. Même si l’on obtient prochainement le retrait de la loi Macron, ce ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan des luttes.

Pour revenir à l’exposé de Paul, la composition de la classe ouvrière s’est transformée, bien sûr. Les jeunes sont davantage diplômés, c’est certain. Mais pour le producteur salarié, rien n’a changé. Ce qu’on voit, c’est une croissance des emplois de service. C’est logique : pour que les femmes aillent travailler, il faut des personnels de service pour s’occuper des enfants…

Concernant la “nostalgie”, je répondrais qu’on n’a jamais vu d’unité ouvrière spontanée. L’unité est une lutte. La visibilité des ouvriers est devenue évidente en 1945, après la Résistance [NB ici, on peut rappeler la phrase de Mauriac sur la classe ouvrière “la seule dans sa masse … qui est restée fidèle à la Patrie profanée”] et elle a disparu des écrans en 1948.

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Réponses

Impossible évidemment de répondre à tout le monde de façon complète. Néanmoins, et à propos de ce qui unit et de ce qui divise, disons ceci. D’abord, on est directement sur le terrain politique. Voyez ce qui unit tous les exploités. Je suis bien d’accord il faut mettre l’accent sur ce qui unit et combattre ce qui divise. Seulement, pour comprendre ce qui divise, il faut aussi admettre des rapports sociaux qui ne sont pas tous entièrement dérivés du rapport central d’exploitation. Nous sommes devant une formation sociale complexe qui ne se réduit pas au seul mode de production capitaliste. Il y a l’héritage colonial et, en plus, il faut introduire d’autres rapports sociaux. Désolé, mais le rapport de domination masculine précède les rapports capitalistes et il a sa propre dynamique. Et dire que la question est réglée parce que les femmes travaillent… Oh! là là… Je suis d’accord sur le fait que les rapports d’exploitation sont plus importants et je ne suivrai pas certains collègues qui mettent tout sur un même plan et veulent croiser tout ça. Mais si l’on veut comprendre, on ne peut pas tout réduire aux rapports d’exploitation. Il existe des différences légitimes entre les groupes sociaux. Et ces différences sont potentiellement intéressantes dans la lutte politique car elles peuvent servir de vecteur à d’autres idées. Bref, j’ai le plus grand respect pour Marx et Engels, mais ils ne suffisent pas. Il y a d’autres éléments, que je considère comme complémentaires. Si l’on veut avoir prise sur la société où l’on vit, il faut tenir compte de facteurs et de rapports de domination multiples qu’ils n’ont pas pu décrire. Sauf à tenir un discours inaudible, on ne peut pas se contenter du seul rapport d’exploitation. En résumé, je ne suis pas convaincu que le retour à la “pureté révolutionnaire” et à la lettre de Marx et d’Engels tels qu’ils apparaissaient dans le jeune parti communiste des années 1920 suffirait à régler tous les problèmes. Voilà.

Sur une question très importante posée par Jeannine, la question du mode d’organisation de la classe et de la prise du pouvoir. L’idée de Bruno Trentin, c’est que l’organisation des partis ouvriers, à l’époque “social-démocrates” et devenus ou non “communistes”, a été calquée sur l’organisation de l’Etat (un parlement, et un exécutif) et qu’elle tournait le dos à l’auto-organisation de la classe et à son potentiel d’imagination gestionnaire. On considérait qu’il fallait d’abord prendre le pouvoir avec ce type d’organisation et qu’une fois le pouvoir conquis, on pourrait voir les choses autrement. C’est le cœur de la critique de Bruno Trentin et elle est à mon avis pertinente. Si on attend la prise du pouvoir d’Etat, en reproduisant, dans les pratiques militantes et dans les conceptions politiques, ce qui existe dans la société, les rapports hiérarchiques, la division du travail, etc. (et là, il faudrait intégrer le bilan de l’expérience soviétique) le jour où l’on aura pris le pouvoir, qu’est-ce qui pourra bien changer dans les rapports sociaux quotidiens qui n’aura jamais préparé avant? Question immense, bien sûr. Peut-être que les échecs d’aujourd’hui sont liés à cela. Aujourd’hui, on n’a plus de “prêt-à-porter” politique, de modèle de la transformation sociale, de modèle de ce qu’il faut faire, ou ne pas faire. On a d’ailleurs plutôt des exemples de ce qu’il ne faut pas faire. Donc, difficulté, mais aussi utilité, d’un bilan critique des expériences révolutionnaires et socialistes au 20e siècle.

Deux petites choses supplémentaires :

(1) Dans les banlieues, ce n’est pas uniquement du “lumpen-prolétariat”, même si celui-ci existe. Toutefois, cette catégorie marxienne devait certainement être revisitée car le lumpen d’aujourd’hui n’est plus celui de Marx, celui qu’il a décrit, en le distinguant d’ailleurs de l’armée industrielle de réserve (les chômeurs) à une époque, au 19e siècle, où le capitalisme était dans une dynamique ascendante. Aujourd’hui, il existe, même à l’échelle internationale, des masses considérables de gens durablement exclus et qu’il faut prendre en compte dans une analyse de classes.

(2) Je trouve très intéressante la remarque de Jeannine sur la nécessité des personnels de service, souvent des femmes, pour que les (autres) femmes puissent travailler. Parfois ces personnels sont non qualifiées (ex. femmes de ménage) et parfois qualifiées (ex. puéricultrices). On peut lier cela à la question des luttes féministes d’émancipation, mais d’un autre côté, comme l’une est rémunérée par l’autre, leur rapport n’est pas un rapport de solidarité. C’est une question à approfondir.

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Q9 : (Ouvrier retraité de la Q7) Un commentaire sur les deux points suivants? (a) le “prolétariat”, aujourd’hui, est mondial. (b) Il ya eu d’autres expériences socialistes que l’URSS : Cuba, le Vietnam, la Chine (où l’on a même vu des luttes des ouvriers contre le parti communiste).

Q10 : (Maurice Cukierman) Revient sur l’organisation du Parti communiste, le parti révolutionnaire, qui doit être un parti discipliné (centralisme démocratique) si l’on veut aboutir à quelque chose. Qui est Bruno Trentin? Un philosophe payé par la CIA et qui évacue la question de la propriété privée des moyens de production (même s’il y a des réflexions intéressantes). Donc, attention !

Q11 : Merci pour cet essai de compréhension des caractéristiques et tendances diverses présentes dans les classes populaires (au pluriel)… Et les couches “moyennes” ?

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Réponses

– Je laisse de côté les bilans des différentes expériences socialistes.

– Concernant Bruno Trentin, je me suis focalisé sur un aspect particulier qui m’a paru intéressant.

– Sur la dernière question : quelles sont les convergences entre les classes “populaires” et les classes “moyennes” ? En fait, c’est le problème des rapports entre les différentes catégories au sein du monde du travail au sens large, puisque ces “classes moyennes” sont aussi des classes “travailleuses”. Mais “classes moyennes” se construit autrement que classes travailleuses. Prenons l’exemple de certaines luttes à Marseille. Prenez un mouvement comme Attac, que certains trouveront évidemment “réformiste” et même “social-traître”. Il permet néanmoins de mobiliser des couches moyennes sensibles au capitalisme qui détruit la planète et nous empoisonne dans nos assiettes, etc. Bref aux questions de destruction de l’environnement, de privatisation des biens publics, de défense de l’école et des services publics en général. Evidemment… pas toutes les couches moyennes (je pense aux instituteurs), mais certaines qui sont mobilisables, en convergence avec la classe ouvrière, sur des luttes de ce type : consommer autrement, consommer intelligemment en lien avec les luttes des producteurs. Je trouve ça intéressant et je regrette que ça n’ait pas plus d’ampleur. Comme, par exemple, les luttes pour l’école, qui sont récurrentes en Seine st Denis, réunissent les enseignants et la population. Mais il faut tenir compte de toutes les spécificités. Prochainement, il va y avoir des grèves pour le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Eh bien, essayez donc de mobiliser les chercheurs sur la question des salaires! Pourtant, ils se mobiliseront sur d’autres enjeux. Il y a donc des convergences possibles et c’est cela qu’on doit chercher systématiquement.

 

 

[1]           Robert A. NISBET, La tradition sociologique, 1966, traduit aux PUF, 1984

[2]           Stéphane BEAUD et Michel PIALOUX, retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999

[3]           Michel SIMON et Guy MICHELAT Les ouvriers et la politique, Permanence, ruptures, réalignement, Presses de Sciences Po, 2004

[4]           Richard HOGGART, la culture du pauvre, étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Chatto and Windus, 1957, traduction par les éditions de minuit, collection le sens commun, présentation de J.C. Passeron, 1970

[5]           Denis POULOT, le sublime ou le travailleur comme il est en 1870, et ce qu’il peut être, 1870, réédition chez F. Maspéro, avec une introduction d’Alain Cottereau, collection actes et mémoires du peuple, 1980

[6]          Karl MARX Critique du programme de Gotha, 1875, Éditions sociales, collection Grande Édition Marx et Engels (GEME), 2008