Annie Lacroix-Riz est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-VII.
Michel Gruselle ouvre la séance avec les remerciements d’usage et en rappelant les informations de base concernant le site du CUEM, le Séminaire Marx-au-21 à la Sorbonne, etc. Il annonce une conférence-dossier sur l’histoire et la mémoire ouvrière aux usines Renault : comment se sont constitués la CGT et le PC dans des luttes de classes emblématiques. Notre conférencière, Annie Lacroix-Riz, est bien connue de la plupart d’entre vous qui ont lu ses principaux ouvrages, “Le Choix de la Défaite“, “Le Vatican, l’Europe et le Reich“, “Industriels et banquiers français sous l’Occupation“, etc. Le sujet d’aujourd’hui tourne autour de son dernier ouvrage sur la scission syndicale de 1947-48, “Scissions syndicales, réformismes et impérialisme…”
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Introduction
Pourquoi ce livre? A l’origine, une Fédération de la CGT (Agriculture) avait demandé à Annie Lacroix-Riz de faire un topo historique sur la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) dont c’est le 70e anniversaire (1945-2015). Ayant compilé un certain nombre d’articles anciens sur le sujet dit-elle, j’ai réalisé combien il serait important de pouvoir disposer d’un travail systématique sur l’histoire du syndicalisme. Dernièrement est paru un ouvrage en termes très lénifiants (solidarité, bien-être, résistances) en relation avec une exposition patronnée par la Mairie de Paris. On constate un énorme fossé avec les réalités que l’on trouve dans les archives, c’est-à-dire avec les réalités de la “lutte des classes”, un terme qui est devenu un “gros mot” aujourd’hui.
Cet exposé veut montrer l’intérêt de l’étude des scissions syndicales et comment celle-ci éclaire la question suivante : qu’est-ce que le réformisme syndical? Accessoirement, les difficultés d’accès aux sources pour ce genre de recherche ne sont pas sans intérêt non plus.
On revient forcément à l’impérialisme et au petit livre de Lénine, “L’impérialisme, stade suprême du capitalisme” (1916-1917) qui explique les conséquences politiques et syndicales de la concentration du capital. L’essor du mouvement syndical a eu pour conséquence la constitution d’aristocraties ouvrières qui ont fait la base du réformisme en cherchant à présenter le capitalisme sous un jour sympathique.
Tout d’abord, il faut préciser trois points :
(1) L’organisation de lutte de classe de la bourgeoisie – l’organisation patronale – n’a pratiquement jamais connu de scission : elle est au contraire remarquablement pérenne et seul le nom change. La CGPF (Confédération Générale de la Production Française) apparue en 1919, devient la Confédération Générale du Patronat Français (même sigle CGPF) en 1936, puis le CNPF (Conseil National du Patronat Français) en 1946, avant de devenir le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) en 1998.
(2) A l’opposé, le mouvement ouvrier français a connu des scissions syndicales répétées.
(3) Ces scissions syndicales n’ont jamais eu de causes endogènes, proprement syndicales.
Dans son livre sur l’impérialisme, Lénine évoque le poids très lourd du patronat dans chaque branche industrielle. Mais avec la Première Guerre mondiale apparaît un fait nouveau : désormais, le patronat étranger (d’abord américain) intervient plus ou moins directement en France. En effet, la loi du développement inégal se traduit très directement par le fait que l’impérialisme français, qui faisait partie de dominants en 1914, devient dominé en 1919. Or les capitalismes dominants aspirent à l’hégémonie.
Kees van der Pijl (The making of an Atlantic Ruling Class, 1984), s’inspirant des travaux de Poulantzas, Gabriel Kolko, etc. a montré avec les conséquence du Plan Marshall, et auparavant lors des manœuvres hégémoniques de l’ère wilsonienne, comment se forme cette classe dirigeante hégémonique “atlantique” – de 1880 à 1970.
Avec le recul, nous comprenons que l’impérialisme américain a, depuis longtemps, des intérêts internationaux au moins aussi importants que ses intérêts nationaux. En conséquence, on voit l’organisation d’un consensus des classes bourgeoises des pays capitalistes développés grâce à des mécanismes et à des institutions dont le “groupe de Bilderberg” est un bon exemple.
C’est une chose tout à fait différente que d’obtenir un consensus populaire appuyé sur le mouvement syndical si l’on considère les difficultés pour construire un front syndical uni, difficultés dont témoigne le nombre important de scissions syndicales. Le patronat dispose de divers moyens pour “tenir” les travailleurs et leurs représentants. Les scissions ne sont pas un phénomène nouveau : elles sont aussi vieilles que le mouvement syndical, mais on connaît mieux celles d’après 1945. Leur première condition, c’est la présence et l’action de dirigeants syndicaux non hostiles au Capital, qui prônent une “cogestion” harmonieuse des salaires.
Quelques rappels de l’histoire du mouvement ouvrier et syndical
En France, la naissance de la CGT (1895) est liée au mouvement ouvrier anarchiste, s’affirmant comme révolutionnaire par ses objectifs généraux (association des travailleurs, grève générale) mais plus ambigü vis-à-vis du patronat et, en fait, proche du courant social-démocrate. Un sérieux problème s’est posé à lui avec l’apparition du courant “révolutionnaire” guesdiste diffusant la pensée Marx. Contre lui, au Congrès d’Amiens, en 1906, les dirigeants “anarcho-syndicalistes” (en fait socio-démocrates) Griffuehles et Pouget ont fait valoir le principe “d’indépendance syndicale”, vis-à-vis des partis et des options politiques (de gauche). Griffuehles, dirigeant soi-disant “anarcho-syndicaliste” et “apolitique” était en fait membre du parti socialiste SFIO
La situation est identique en Grande-Bretagne où un lien très fort existe entre les “Trade-Unions” (syndicats réformistes et hostiles à toute révolution) et le Parti “Travailliste”. Et il en est de même en Allemagne, en Bergique, etc.
L’influence étrangère, c’est-à-dire américaine. Aux USA, l’American Federation of Labor (AFL) représente un syndicalisme complètement aligné sur le patronat. Son dirigeant, Samuel Gompers (1850-1924) qui a dirigé l’AFL pendant 38 ans et jusqu’à sa mort était farouchement hostile au syndicalisme de luttes de classes et au syndicalisme révolutionnaire.
En France, la première scission de la CGT, en 1920-22, a eu lieu sous la pression extérieure des événements consécutifs de la Révolution d’Octobre et à la guerre civile russe. Après le Congrès de Tours (1921) de la SFIO et la naissance du PCF, la CGTU se constitue, en 1922, au congrès de St Etienne, comme un syndicat unitaire de lutte de classes en rupture avec l’ancienne CGT de Léon Jouhaux. La CGTU est dirigée par Gaston Monmousseau auquel succédera plus tard Benoît Frachon. En 1936, au congrès de Toulouse, surviendra une fragile réunification CGT-CGTU sous la pression de la base. Une fois tournée la page du Front Populaire et entérinés les Accords de Munich (1938), le grand patronat considère que le “Munich extérieur” doit être complété par un “Munich intérieur”. En 1939, après une série de défaites dans les luttes, les militants “unitaires” partisans d’une CGT de luttes de classe sont exclus par le groupe de Léon Jouhaux sous prétexte qu’ils refusent de condamner le Pacte germano-soviétique (août 1939). Jouhaux est redevenu le patron d’une CGT prête à collaborer.
A l’époque, une partie des moyens des syndicats provenaient du patronat et des syndicats américains, les archives de l’entre-deux-guerres en font foi. (Problèmes liés à l’ouverture récente de ces archives).
Survient alors le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, à propos duquel il faut lire “L’étrange défaite” de Marc Bloch. Celui-ci laisse entendre que la défaite de 1940 fut l’effet d’une trahison pure et simple. En 1940, la CGT s’est retrouvée avec l’ahurissante responsabilité de faire accepter l’occupation et l’hégémonie allemande par la classe ouvrière. Ses dirigeants ont abdiqué toute dignité.
Pendant la guerre, plusieurs membres notoires du groupe Jouhaux ont collaboré activement. René Belin, issu de la Fédération des PTT est devenu ministre du Travail de Pétain en 1940 (dissolution de la CGT et des syndicats, semaine de 60 heures, Charte corporatiste du Travail, signe le statut des juifs). René Bard, chef de la Fédération des mineurs, qui avait accusé les “unitaires” luttant pour la paix en 1938 d’être “les paillassons de Daladier”, collabore ensuite activement avec les Allemands.
En France, la collaboration syndicale avec le patronat et, par voie de conséquence, avec le patronat allemand a été antérieure à la guerre. Les gens de l’Ambassade d’Allemagne sont rentrés en Allemagne en 1939 à la déclaration de guerre, mais ils sont vite revenus (les mêmes) en 1940 et l’influence allemande s’est alors exercée directement sur les syndicats.
Léon Jouhaux, le secrétaire général de la CGT avant la guerre, habilement, ne s’en mêle pas. Il laisse faire et s’occupe de réduire l’influence communiste dans la classe ouvrière. Assigné à résidence par Vichy en 1940, il est arrêté en 1942 par les Allemands qui l’envoient en camp de concentration, mais il est logé à part dans des conditions spéciales et confortables avec le “gratin”, Blum, Gamelin, Daladier, etc.. Jouhaux est totalement aligné sur le grand patronat français qui marche avec Hitler.
La scission de 1947-1948.
Bien que cette étude comporte beaucoup de lacunes, on constate que le problème est tout à fait similaire après la guerre. Jouhaux joue le même rôle. En 1945-47, le patronat français est moins présent sur le devant de la scène (et dans les archives) que les influences américaines, d’abord privées, puis étatiques. L’étude de la scission syndicale française de 1946-1948, montre qu’Erwin Brown, de l’AFL-CIO et appuyé par la CIA, joue un rôle majeur en France et dans les colonies françaises (Magreb et Afrique), comme dans toute l’Europe sous domination américaine.
La même chose se produit en Grande-Bretagne où le mouvement ouvrier avait pourtant conservé une certaine combativité et un certain esprit de classe. Qu’il conservera d’ailleurs jusqu’à l’affrontement décisif de 1984-85 où Margaret Thatcher réussira à casser la grève et le syndicat des mineurs.
En Allemagne. Les Archives diplomatiques (Série B “Amérique”, Fonds “Allemagne”) montrent que le syndicalisme allemand a été entièrement reconstitué, de 1945 à 1949, par des influences américaines, syndicales, financières et politiques.
Parenthèse : depuis environ quarante ans (depuis le milieu des années 1970), nous sommes entrés dans une crise systémique qui ressemble fortement à celles des années 1930. Au congrès de l’Internationale de 1935, Dimitrov avait donné une définition du fascisme et il expliquait que des pans entiers du mouvement ouvrier pourraient se détacher du réformisme et devenir révolutionnaires. Or, dans la France de 1945 à 1949 on est dans une situation opposée. La réformisme veut reprendre la main. Mais il ne peut y parvenir spontanément. La CGT réunifiée à la Libération (en fait, avant la Libération, à l’occasion du programme CNR – le Conseil National de la Résistance) anime les luttes et la combativité ouvrière ne diminue pas. La scission est parfois difficile à réaliser et les Américains s’en plaignent. Elle s’effectue pourtant, syndicat par syndicat, puis globalement et en accord avec un plan international d’origine américaine.
Dans les syndicats américains de l’AFL-CIO, tous les hauts dirigeants comme Erwin Brown étaient salariés du patronat et de l’Etat. Et sous contrôle de la CIA.
En France, les résultats ont été d’autant plus spectaculaires que la résistance a été moins forte de la part de chefs syndicaux comme Jouhaux.
En Allemagne sous contrôle américain, la DGB (fondée à l’origine par des ouvriers ligués contre Bismarck) reprend Tarnoff, son ancien dirigeant qui ne s’était pas du tout opposé aux nazis mais qui avait été “mis de côté”. Aujourd’hui, on raconte l’histoire à l’envers en rendant le parti communiste allemand (le KPD), soi-disant gauchiste, responsable de la désunion de la gauche face aux nazis. Tarnoff, en 1931 disait : nous sommes les médecins au chevet du capitalisme malade. Mais en fait, grâce à des gens comme lui, les syndicats se sont couchés encore plus que le SPD devant les nazis. Ceux-ci n’avaient pas besoin de Tarnoff, ni des autres, ils avaient leur propre personnel.
Ce qui a permis aux Américains, après 1945, d’aller chercher Tarnoff pour ressuciter des syndicats DGB à leur convenance.
Problèmes.
Les conditions réelles des scissions syndicales restent obscures. En effet, on n’a toujours pas accès, en France, aux archives patronales. On ne peut donc qu’inférer certains éléments à partir des archives policières qui, heureusement, sont très précises.
En 1921-22, il ne s’agit pas à proprement parler d’une scission. La fondation de la CGTU par la minorité révolutionnaire de la CGT, en 1922, est une conséquence logique du Congrès de Tours. En 1939 c’est la même chose (dans l’autres sens) : le refus, par les communistes, de condamner le pacte germano-soviétique entraîne leur exclusion de la CGT en même temps que l’interdiction du Parti communiste. En 1939, le ministre des Affaires Etrangères Georges Bonnet (gouvernement Daladier) avait prévenu, l’ambassadeur allemand von Petseck que les élections de 1940 seraient annulées et que les communistes seraient “mis à la raison”.
Comment connaissons-nous les conditions de la scission d’après-guerre? Parce que les historiens américains l’ont étudié (et publié) avant nous. Voir, par exemple : “Vichy game“, un livre (non traduit et absent des bibliothèques françaises) d’un universtaire membre de la CIA. Ou encore : Anthony Carew, “Labour under the Marshall Plan : the politics of productivity and the marketing of management science”, 1987, (Le mouvement ouvrier européen à l’époque du Plan Marshall), en anglais, non traduit [1].
Il ressort des archives américaines que les USA ont soutenu Vichy jusqu’au bout et qu’ils ne voulaient pas de de Gaulle.
Le plan américain concerne tous les syndicats de tous les pays d’Europe occidentale.
Notre problème, en général, provient du fait que l’histoire sociale (donc syndicale) est en déshérence. Si vous voulez travailler sur les mouvemements (pro-)européens vous aurez toute latitude et des financements faciles. Par contre, sur l’histoire de la scission de 1948, je ne connais que le travail de Tania Régin sur l’histoire du syndicalisme F.O. de 1948 à 1978, et depuis, plus rien. Impossible de faire carrière avec un tel sujet. Au fond, on se demande même de quoi peut-on parler.
La question est délicate pour les historiens, mais aussi pour les militants syndicaux, ouvriers et autres. La perversion de l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale fait tache d’huile sur beaucoup d’autres domaines. Il en résulte une véritable chappe de plomb. Autrefois, nous avions quelques bons ouvrages universitaires et d’enseignement secondaire. La différence avec la situation d’aujourd’hui est frappante, pour ne pas dire épouvantable.
Les marxistes ont la responsabilité de ne pas “laisser faire”. Certes, une seule personne ne peut pas tout faire. Mais on peut tous faire (un peu) quelque chose.
Le problème le plus sérieux est celui des postes et des carrières. Pour qu’un jeune fasse une thèse, il faut un jury. Or le paysage est verrouillé.
Un auteur britannique vient par exemple de publier un livre de 400 pages sur “La conquête du travaillisme anglais par le “réformisme” américain.” Un tel livre est impensable en France actuellement.
Ainsi, l’histoire de la scission syndicale de 1948 sous influence américaine pose brutalement le problème des interdits intellectuels et professionnels en histoire actuellement.
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Discussion
Q1 : Questions concernant l’importance de l’Histoire syndicale et politique. Collaboration de la CGT sous l’Occupation, avec ou sans participation de la DGB? L’existence d’une composante révolutionnaire ne favorise-t-elle pas les scissions? Et le déclin américain? Les manipulations du patronat sont nombreuses et évidentes, il suffit d’accorder telle chose aux uns et pas aux autres. On divise facilement les gens avec des faveurs et des jalousies.
Q2 : J’étais ouvrier métallurgiste et j’ai vécu les tendances au réformisme au sein même de la classe ouvrière. Il y a des contradictions internes à la classe ouvrière. J’ai vu des exclusions de “gauchistes”, mais aussi, à plusieurs reprises, j’ai vu de bons représentants syndicaux devenir des collaborateurs étroits du patronat. Dominants-dominés. La classe ouvrière est un milieu fragile. La cause des scissions, on ne la voit pas à l’intérieur.
Q3 : Approuve la conférence. Demande des précisions sur René Belin, ancien syndicaliste CGT devenu ministre du Travail de Pétain.
Réponses.
La situation allemande est différente de la situation française. En Allemagne, les partisans de la collaboration de classe cessent de militer. Il y a peu de collaboration active avec le patronat. Au 1er mai 1933, la DGB a participé à la mascarade par laquelle l’Etat nazi prenait possession des avoirs et des locaux syndicaux où les nazis vont installer leur personnel. En France, la situation est très différente. René Belin était le second de Jouhaux et est devenu ministre du Travail et de la Production Industrielle de Pétain. En fait, il a servi de paravent et il n’avait qu’une seule chose à faire : signer. Mais le patronat et les Allemands avaient besoin de cette couverture fournie par les “socio-traîtres”
Les gens qui parlent de “complotisme” sont ridicules. Les calculs politiques impliquent toujours des stratégies et dans certaines circonstances, une stratégie “marche comme sur des roulettes”. Certaines stratégies “marchent” et d’autres pas. Cela ne dépend pas du talent du “comploteur”.
Dans les années 1930 est apparue une syndicalisation des cadres, parfois sur des bases qui n’étaient pas des bases de collaboration de classes. C’est dire combien le patronat a eu peur du Front Populaire en 1936. Dans les années 1970, on est déjà dans une conjoncture différente où le réformisme s’est installé et domine. Et on aboutit directement à la conjoncture d’aujourd’hui.
Mais revenons à Marx et aux “contradictions internes” de la classe ouvrière. Ce dont vous parlez, c’est tout simplement de la politique salariale. Depuis le 19 siècle, le patronat joue une catégorie contre l’autre, les hommes contre les femmes, les qualifiés contre les moins qualifiés, etc. L’objectif est d’approfondir toutes les divisions possibles. Il faut bien avoir en tête que les classes dominantes passent leur temps à faire de la “stratégie”, comme on vient de le dire.
Les archives policières expliquent très bien comment le patronat “conquiert” des militants pour les dévoyer. La lutte des classes est inégale. Aussi bien du point de vue matériel que du point de vue intellectuel.
Annie Lacroix-Riz approuve l’idée d’un déclin de l’impérialisme américain. En 1945, les USA faisaient 50% de la production mondiale. Aujourd’hui, 17%, ou 22%. A la fin de la guerre l’impérialisme américain avait une stratégie d’hégémonie totale. L’histoire de Yalta et des zones d’influence, c’était bon pour Churchill, mais Roosevelt a toujours refusé d’en discuter, même entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
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Q4 : Je ne remet pas en question le travail de Claude Willard sur Guesde [2]. Cependant, Guesde était-il vraiment marxiste? Seconde question : le syndicalisme n’est-il pas toujours naturellement réformiste? En se basant, par exemple, sur les statuts de F.O., il me semble que la CGT reprend les mêmes principes alors qu’elle s’est donnée pour objectif l’abolition du salariat et des classes. A la CGT, la question de la négociation est suspendue à celle du rapport des forces. Dans les autres syndicats, on négocie pour négocier.
Q5 : Est-il envisageable qu’une seule organisation syndicale représente tous les salariés? L’exemple actuel de la Grèce semble aller dans ce sens. En France, ce serait le chaos.
Q6 : Tu emploies beaucoup la distinction “révolutionnaire” / “réformiste”. Est-ce une opposition pertinente? N’a-t-elle pas été définitivement enterrée en 1936? Où nous conduit une telle opposition?
Q7 : Michel Gruselle rappelle les trois mois de grève à Decazeville (1961) qui ont précédé la grande grève des mineurs de 1963. Le préfet et le patronat se réunissaient tous les jours (et ce n’était pas pour le bien des mineurs).
Réponses.
Guesde était-il marxiste? L’histoire du mouvement ouvrier en France est depuis fort longtemps réformiste. Il y a un “terreau” national pour le réformisme. Mais il y a aussi la conjoncture et les événements dépendent de la combinaison des deux. Depuis 30 ou 40 ans, on subit des circonstances “pourries” qui deviennent une sorte de contexte, d’air du temps, et nous en oublions une partie de l’histoire.
On ne sait pas, actuellement comment se sont combinés les facteurs nationaux et internationaux.
Dans l’internationalisation de la production, patronats et gouvernements ont pratiqué de nombreuses casses industrielles. Ils ont évidemment choisi de préférence, les usines où les ouvriers étaient revendicatifs et les syndicats forts. L’exemple de la zone de Teschen est bien connu : après la Première Guerre mondiale, Schneider fut consulté pour définir les frontières de la nouvelle Tchécoslovaquie et il a rejeté la zone de Teschen où les ouvriers (polonais) étaient trop revenducatifs.
L’histoire est pleine d’interrogations. Comment se fait-il que la conjoncture se soit inversée (vers la gauche) en France, de 1934 à 1936 ? Ou encore : pourquoi cette même conjoncture a-t-elle basculé en Russie, de 1917 à 1922, et non pas en Italie qui présentait un tableau tout à fait comparable?
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[1] Mais en Bibliothèque, à Sciences-Po, Paris-7, l’ENS, et Nanterre BDIC.
[2] Par exemple : Claude Willard, “Les guesdistes : le mouvement socialiste en France : 1893-1905 (1965)