Résumé A. Ruscio

Alain RUSCIO :

Le PCF et la question coloniale (1920-1962)

Conférence no 6 du Jeudi 9 avril 2015 à l’Amphi Roussy (Campus des Cordeliers)

Michel Gruselle introduit la séance en remerciant l’Université et en rappelant les contraintes matérielles et horaires. Il présente Alain RUSCIO, né en 1947, historien indépendant, auteur de 16 ouvrages et bientôt 17, avec la sortie prochaine de “Nostalgérie, l’interminable histoire de l’OAS” (La Découverte). Alain Ruscio est docteur en Histoire (thèse d’Etat en 1984) et spécialiste de l’histoire coloniale et des décolonisa­tions. Il a d’abord travaillé sur l’Indochine française et publié La Guerre française d’Indochine, 1945-1954 (Complexe, 1992) et il dirige toujours le Centre d’Information sur le Vietnam. Cependant, il s’est réorienté ensuite vers une histoire comparée des colonisations françaises pour décoder les “réhabilitations, falsifi­cations, instrumentalisations” qui jalonnent la mémoire coloniale. Alain Ruscio s’est attaché à décrire la réalité du colonialisme et à l’image que la colonisation a voulu donner d’elle-même.

Introduction

Faisons d’abord le constat d’un paradoxe : l’histoire du PCF face à la question coloniale reste chargée des mêmes passions qu’autrefois, alors que le Parti n’est plus que l’ombre de lui-même. A chaque conférence sur ce sujet, on entend les mêmes interventions “pros” ou “anti” vis-à-vis de son attitude dans les luttes de la décolonisation.

Ici, le défi consiste à résumer quarante-deux ans de luttes – 1920-1962 – c’est-à-dire une période vaste et hétérogène. Prenons un exemple : en 1939, le PCF fut le seul parti a fêter la prise de la Bastille. Il se voulait, et s’est toujours voulu, héritier des Lumières, de la Révolution Française et de la Commune de Paris. Mais vis-à-vis des “colonies”, même la Commune était une référence ambiguë car, si Louise Michel, déportée à la Nouvelle-Calédonie, avait manifesté sa sympathie pour le mouvement canaque (et la révolte de 1878), d’autres communards avaient au contraire participé à sa répression.

Il faut se souvenir de la grande faiblesse théorique du mouvement ouvrier français d’avant 1914. Le premier livre sur la “question coloniale” date de 1905, soixante-dix ans après la conquête de l’Algérie, près de vingt ans après celle de l’Indochine et très longtemps après les débats parlemen­taires sur la politique coloniale. C’est surtout l’anarchosyndicalisme qui avait frayé la voie à la contestation du colonialisme.

Le Congrès de Tours (1921). L’historiographie communiste en a fait l’acte fondateur du PCF, (cf. le livre de Jean Fréville, “La Nuit finit à Tours“), avec l’acceptation officielle des “21 condi­tions” qui conditionnaient l’adhésion à l’Internationale Communiste. L’une de ces conditions (la 8e) imposait la dénonciation du colonialisme et l’engagement de soutenir les luttes de libération des peuples colonisés. Or, la seule intervention contre le colonialisme à ce congrès fut celle de Nguyen-Ai-Quoc (le futur Hô-Chi-Minh) le 26 décembre. On vit alors un échange entre Vaillant-Couturier, qui soutint cette intervention, et Longuet qui prétendait que l’Assemblée Nationale s’était déjà occupée du problème à son initiative. Mais si l’on compare les positions de Longuet (publiées dans le “Populaire“, journal socialiste) et le texte de Vaillant-Couturier (publié dans l’Humanité), elles n’ont rien de commun. Ce dernier lie la révolution mondiale à la libération des peuples colonisés.

Après le Congrès de Tours, la fièvre retombe en dépit de quelques remous. Par exemple, la Fédération socialiste de Sidi-Bel-Abbès (Algérie) avait voté l’adhésion à la IIIe Internationale à 95-98%. Mais tout rentre bientôt dans l’ordre. Hô-Chi-Minh publie quelques articles critiques sur le manque d’enthousiasme des Français pour la question coloniale.

La guerre du Rif et la décennie “héroïque”. A partir de l’automne 1924, s’ouvre une période d’apprentissage de la lutte anticolonialiste pour le PCF. La guerre du Rif est déclenchée contre les tribus marocaines révoltées contre le protectorat espagnol du Nord. Le PCF envoie un télégram­me de soutien à Abdelkrim et dénonce l’impérialisme français. En octobre 1925, il parvient à provoquer des mouvements de grève et des manifestations contre les guerres du Rif et de Syrie. L’Humanité parle d’un million de grévistes. En fait 400 000 (ce qui n’est pas si mal). Arrestations et répression se succèdent. Thorez est condamné à 14 mois de prison, un militant (Sabatier) est tué. Certains intellectuels radicaux (les Surréalistes), Aragon, Eluard, etc. de même que des ouv­riers syndicalistes CGTU adhèrent au PCF. C’est la “décennie héroïque”. Henri Barbusse publie des textes incendiaires : “l’impérialisme, c’est l’exploitation“, “…quand les bêtes de somme se dressent contre les bêtes de proie“, etc. A l’Assemblée Nationale, les députés du PCF sont les seuls à dénoncer la répression en Indochine. Ou à manifester à l’occasion d’événements de la propagande colonialiste. Par exemple, à l’occasion du centenaire de la colonisation de l’Algérie, ou pour répondre à la provocation des catholiques fondant un monastère à Carthage, ou encore durant l’Exposition Coloniale de 1937. Sur le site de la BNF (“Gallica”), on peut comparer les textes du Populaire et de l’Humanité. Ils sont radicalement différents.

A cette époque, Hô-Chi-Minh fonde l’Association des Peuples Coloniaux. Les élections de 1924 voient la victoire du Cartel des Gauches. Le PCF a présenté deux candidats africains, l’un Algé­rien et l’autre Sénégalais (Lamine Senghor, sans rapport avec Léopold Sedar Senghor). Les éléments indépendantistes les plus actifs rejoignent pu se rapprochent du PCF. C’est le cas de Messali Hadj et de “l’Etoile Nord-africaine” qui revendiquent l’Indépendance. A la fin de la “décennie héroïque”, le PCF et la CGTU ont réussi à organiser 8000 Algériens.

La période du Front Populaire et de la guerre (1936-1945). Avec la montée du fascisme, il est évident qu’il faut défendre la démocratie, même si celle-ci n’est pas parfaite. La revendication d’indépendance des peuples coloniaux est mise au second plan. Tout en restant mentionnée. En 1937, Maurice Thorez lance l’idée de la “nation en formation” à propos de l’Algérie et demande aux militants algériens de défendre la démocratie française contre le fascisme (les fonctionnaires coloniaux sont parfois qualifiés de “fascistes”). Evidemment, ceci entraîne quelques dérives. Le PCF soutient la dissolution de “L’Etoile Nord-Africaine” de Messali Hadj par le gouvernement du Front Populaire.

Entre 1939 et 1941, le PCF (gêné par le pacte germano-soviétique) soutient la thèse selon la­quelle la guerre oppose deux impérialismes, allemand et français. Par conséquent, il recommence à soutenir les luttes de libération des peuples colonisés. En 1940, une insurrection cochinchinoise (au Vietnam du Sud) est noyée dans le sang, ce que le PCF est seul à dénoncer.

Après 1941, l’invasion allemande de l’URSS, puis l’attaque japonaise de Pearl Harbor entraînent l’alliance de l’Angleterre, des USA et de l’URSS contre l’Axe, ainsi que le rapprochement du PCF et des gaullistes. Après le voyage de Fernand Grenier à Londres pour rencontrer de Gaulle, les communistes participent au Comité National de la Résistance (CNR). Ils mettent alors en sour­dine les revendications anticolonialistes. Le Programme du CNR est d’ailleurs très timide vis-à-vis des peuples coloniaux (une seule phrase).

A la Libération, le PCF a une influence énorme. L’interview de Maurice Thorez au Times, du 18 novembre 1946, envisage une possible marche légale (électorale) au socialisme en France. Du point de vue du PCF, l’instauration, dans notre pays, d’un régime démocratique orienté vers le socialisme devrait bénéficier aux peuples colonisés. “L’Union Française”, crée en 1946 en même temps que la IVe République et qui regroupe toutes les colonies, pourrait devenir un instrument d’émancipation des peuples soumis, sur le modèle de l’URSS qui avait émancipé les petits peu­ples autrefois colonisés par le tsarisme.

Mais ce faisant, on est passé du “droit au divorce” évoqué par Lénine (ces “petits peuples” ayant un droit de sécession) à l’interdiction du divorce.

La guerre froide et la guerre d’Indochine. En 1946, de Gaulle démissionne et, en 1947, les ministres communistes sont chassés du gouvernement, non sans avoir protesté auparavant contre la politique de reconquête, de guerre, de répression et de torture en Indochine. Politique dont les responsables sont l’amiral d’Argenlieu, Marius Moutet et Georges Bidault.

Fin 1947, le discours de Jdanov prend acte de la situation de guerre latente avec les Occidentaux et, en 1950, commence la guerre de Corée.

Jacques Duclos envoie un télégramme de soutien à la proclamation d’Indépendance du Vietnam par Hô-Chi-Minh. Mais, en 1952, la tension est extrême et beaucoup pensent qu’on est au bord de la Troisième Guerre mondiale.

Le PCF envoie des émissaires à Hô-Chi-Minh et Giap : Léo Figuères et deux conseillers mili­taires secrets, issus de la Résistance, pour la propagande en direction des soldats français. (L’un de ces deux conseillers est décédé récemment, à 102 ans, sans avoir jamais révélé son vrai nom).

L’action des militants du PCF prend parfois des formes violentes, mais ponctuelles, comme la destruction de matériel de guerre à destination de l’indochine et les refus de chargement de la part des dockers. Néanmoins, le PCF n’était pas partisan d’actions armées car il craignait d’être isolé comme “terroriste” et interdit. Par conséquent, il a mis en avant les actions militantes d’Henri Martin et de Raymonde Diem qui sont plus “rassembleuses”. A cette époque, des intellectuels comme Jean-Paul Sartre se rapprochent effectivement du PCF, tandis que celui-ci subit une violente répression. Les dirigeants communistes font presque tous de la prison. Léo Figuères et d’autres militants passent dans la clandestinité. Le Parti s’illustre néanmoins par des actions de dénonciation de la répression à Madacascar, mais aussi de la déposition deu Sultan Mohamed V au Maroc. Il a été le seul parti politique à soutenir les embryons de mouvements indépendantistes nord-africains et africains. Et pourtant, les communistes restent attachés à la notion “d’Union Française”, peut-être en raison d’un vague espoir de réunir à nouveau les communistes et les socialistes dans un nouveau “Front Populaire”. Mais la politique du parti socialiste est totalement atlantiste et va-t-en guerre.

Les débuts de la guerre d’Algérie. En 1954, le PCF est confronté à une situation complexe car, (a) l’insurrection du 1er novembre est déclenchée par un mouvement indépendantiste non-commu­niste, et (b) à côté des “gros colons” colonisateurs, la population algérienne compte un peuple­ment de “petits blancs” violemment hostile à l’indépendance (ils deviendront “Algérie française”). Ces deux facteurs rendent impossible le “schéma indochinois”, dans lequel le PCF centralisait la lutte anticoloniale grâce aux relations étroites entre dirigeants vietnamiens et dirigeants commu­nistes français.

Les premiers attentats de la Toussaint 1954 suscitent d’abord la méfiance du PCF. Même Messali Hadj (encore proche du Parti) n’était pas au courant de tout. Le 5 novembre, soit 4 jours après les attentats et la proclamation de l’insurrection par le FLN, au cours d’un grand meeting au Vél d’hiv (qui existait encore) le discours de Jacques Duclos dénonce la répression contre un peuple qui voulait son indépendance, une formule confirmée par un article de l’Humanité. Cependant, le communiqué ultérieur, au nom “du PCF tout entier” (et non d’une instance dirigeante), souligne le caractère légitime de “l’aspiration nationale” du peuple algérien sans que le mot “indépendance” n’y figure. Cependant, face à la répression, le PCF commet ensuite une erreur. Il se réfère à Lénine pour rejeter les “actions individuelles” (les attentats) susceptibles d’être manipulées et de “faire le jeu des pires colonialistes[1]. Un appel à la vieille théorie de la provocation qui entraîne une levée de boucliers. Le Secrétaire du Parti communiste algérien proteste et demande le retrait de la déclaration. Mais les événements prennent vite les dessus : râtissages, bombardements de villages par l’aviation, etc. Le mot “torture” apparaît dans l’Humanité dès le 8 novembre avec une dénonciation de la répression.

Toutefois, l’Algérie, en cette première année de la guerre, n’est pas la priorité du PCF.

Evolution du concept de “nation en formation”. Quel fut le rôle du Parti communiste algérien (PCA) ? Au printemps 1955, ses dirigeants rencontrent le FLN. Et pourtant, celui-ci reste ignoré du PCF qui ne valorisera pas son action avant 1956. Alain Ruscio pense que ce sont les commu­nistes algériens qui ont fini par convaincre le Parti français du caractère authentiquement national de l’insurrection. Le 11 octobre 1955, à l’Assemblée Nationale, Jacques Duclos interpelle le gou­vernement sur l’interdiction du PCA et proclame que le PCF soutient les aspirations à l’indépen­dance du peuple algérien. Ce discours est reproduit au Journal officiel et l’Humanité peut le citer et reprendre le mot “indépendance” sans risquer la censure. Thorez cautionne ainsi le soutien à l’indépendance, ce qui enterre le concept de “nation en formation”. En même temps, Jean Dresch a parlé de l’indépendance dans un article de la Pensée. Alain Ruscio estime que ce sont là des indications d’un virage progressif. On a senti d’abord une évolution du discours du Parti vers l’indépendance de l’Algérie à partir de l’automne 1955 en direction des cadres et des militants. Mais cette évolution ne se traduira pas avant 1957 dans les mots d’ordre publics. Le PCF bouge lentement pour habituer sa base ouvrière encore raciste. Le mot d’ordre officiel “Paix en Algérie!” est consensuel. Il n’empêche pas un débat véhément avec les intellectuels “porteurs de valises”, ralliés au FLN. De toutes façons, le contexte est violent. Dans les rues de la banlieue parisienne, il y a beaucoup de morts par “règlement de compte” entre Algériens.

La lenteur de l’évolution du PCF le coupe malheureusement des militants non communistes, sym­pathisants et “compagnons de route” que le Parti avait attiré au moment de la guerre d’Indochine.

L’année terrible, 1956. Au début de l’année 1956, après une campagne basée sur le slogan “il faut sortir de cette guerre imbécile“, le Parti socialiste remporte une grande victoire électorale. Le 12 mars, le PCF vote les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet pour faire une politique de paix, malgré une série d’incidents qui laissaient prévoir que les socialistes trahiraient bientôt leurs promesses et intensifieraient la guerre. Ce jour là, entre la fin de la réunion du Bureau Poli­tique, qui était très partagé, et le vote à l’Assemblée Nationale, il s’est écoulé environ une heure. La décision a été obtenue difficilement, après de nombreux affrontements. Jeannette Vermeersch était pour, G. Ballanger était contre. Trois jours après, le Comité central s’est réuni et Maurice Thorez a fait valoir qu’il ne fallait pas “sacrifier le tout à la partie“. Le “tout”, c’était une pers­pective d’union de la gauche sur un programme social (les travailleurs venaient d’obtenir une troisième semaine de congés payés) au moment d’une possible sortie de la guerre froide car on voyait des signes de “dégel” dans les rapports Est-Ouest[2]. La “partie”, c’était l’indépendance de l’Algérie, après celle du Maroc (2 mars 1956).

Ce vote des pouvoirs spéciaux n’a tout de même pas empêché la presse communiste de dénoncer la répression relancée par le gouvernement Guy Mollet. Mais il a eu des conséquences graves : le PCF fut ébranlé (on lui reproche encore la chose aujourd’hui) et des intellectuels comme Annie Kriegel ou Aimé Césaire, le quittèrent. La cellule Sorbonne-Lettres, qui comptait de très grands noms, envoya une lettre de protestation à la direction du Parti. Elle dénonçait l’erreur de croire que la classe ouvrière française pouvait octroyer la liberté aux peuples colonisés, car c’était le contraire qui était vrai. La lutte de ces peuples pour se libérer pouvait permettre des luttes popu­laires victorieuses en France.

A l’époque, la lecture à la loupe de l’Humanité révèle le malaise au sein du PCF. Beaucoup d’ou­vriers algériens militants (il étaient nombreux chez Renault par exemple) quittent la CGT et le Parti. En fait, celui-ci n’a pas réellement “freiné” les actions contre la guerre d’Algérie. Ces actions n’ont jamais cessé, mais elles n’ont jamais reçu une grande publicité et l’on a privilégié les pétitions, débrayages ponctuels, prises de parole, etc. On a recensé 967 manifestations de rue contre la guerre d’Algérie qui, certes, n’étaient pas toutes à l’initiative du PCF. La première eut lieu le 24 septembre 1955, à Belleville ceux qui l’ont faite ont témoigné de ce qu’ils n’étaient guère nombreux et que la foule ne les suivait pas. Les gens restaient sur les trottoirs à les regar­der[3]. Ce n’est que dans la dernière année de la guerre, en 1960-1961, que le PCF a mobilisé massivement pour l’indépendance de l’Algérie [4].

Conclusion. On s’interroge toujours sur le fait que les communistes français ne voulurent pas, ne purent pas, ou ne surent pas mobiliser la population contre la guerre. Mais il ne faut pas occulter le fait que les Français étaient en majorité racistes et anti-Arabe. Il ne faut pas oublier non plus que le PCF fut – avec le tout petit PSU – le seul parti politique qui ait pris position et lutté contre la guerre d’Algérie. Cependant, les enjeux ne se situent pas par rapport à ces autres partis, mais par rapport aux principes fondateurs du Parti communiste. Par rapport aux idéaux communistes et léninistes.

 

Discussion.

Q1 : La question coloniale ravive toujours de vieilles plaies: le Parti communiste a-t-il bien joué son rôle de parti communiste dans la politique française ? Et aussi, n’y avait-il pas deux lignes politiques en conflit à l’intérieur du PCF?

Il ne faut pas oublier que la création du Parti communiste algérien (PCA) ne correspond pas à un “essaimage” du PCF, mais qu’elle est due à une directive de l’Internationale Communiste : par conséquent, depuis le début, quelque chose ne va pas. En Indochine, la résistance a commencé en 1940, mais elle n’obtiendra le soutien du PCF qu’en 1945. Les peuples coloniaux ont subi l’ambi­guïté du PCF.

[Une intervention, qui a commencé par rappeler des faits, et se poursuit par un réquisitoire : le PCF a toujours freiné les propositions d’action violente en France, etc.]

Q2 : Quel a été le rôle de la J.C. pour lancer des actions antimilitaristes et anti-guerre? Certains JCs ont fait de la prison, mais bien peu.

Q3 : (Cuckierman) Une question par rapport au Front Populaire. La question de l’indépendance des peuples coloniaux, lancée par l’Internationale, est freinée par la politique du “Front anti-fas­ciste”. Thorez, en 1937, sauve les principes. Il dit : patience (“nation en formation“), il ne dit pas “aucune indépendance“. Même chose en 1945-1947. Il faut d’abord défendre l’URSS. Et puis se pose le problème des nationalistes anticommunistes. De plus, le Parti ne veut pas courir le risque d’être interdit à cause de l’Algérie. J’ai connu un camarade, dans le 11e Arrondissement qui s’est fait exclure “officiellement” du Parti pour militer activement et clandestinement aux côtés du FLN. Un situation pas facile vis-à-vis de ses “anciens” camarades. Enfin, se pose la question de l’impérialisme américain. Les contestataires de la politique du PCF à cette époque, A. Kriegel, M. Rebeyroux, etc. ont eu généralemenrt une attitude trouble sur ce sujet.

Q4 : Il faut rappeler l’attachement de l’opinion française à la colonie qui résultait de l’influence (pour ne pas dire de l’endoctrinnement) de l’école publique de la IIIe République. La répression en Algérie a été longtemps acceptée pour cette raison.

Réponses.

Oui, il y avait deux lignes à la direction du Parti, mais mélangées. Disons tout de suite que les “petites actions”, tracts, pétitions, etc. n’étaient pas méprisables, elles n’étaient pas “trop peu” car complémentaires d’actions de masses espérées mais qui ne “prenaient” pas encore. La direction du Parti pensait : “plus lentement, mais avec plus de monde.”

En ce qui concerne la guerre d’Indochine, c’est un mauvais procès que de critiquer le PCF pour avoir “traîné les pieds” depuis 1940 ! Sans même évoquer le fait que les communistes étaient assez occupés avec ce qui se passait en France, il faut rappeler que le gouvernement (provisoire) de Hô-Chi-Minh  a proclamé l’indépendance en 1945 et que l’URSS ne le reconnaîtra qu’en 1950, après la victoire de Mao et des communistes en Chine !

Sur le PCA (Parti communiste algérien), qui a été fondé en 1936 comme un parti autonome et pas comme une section du PCF, il faut dire qu’il l’a été avec des militants algériens (arabes) et qu’il fut le seul parti réunissant des “colonisés” et des “colonisateurs”. Mais il est vrai que la “nation en formation” lui a été imposée.

Concernant la Jeunesse Communiste et les “soldats du refus”, il faut dire qu’un nombre inconnu de jeunes, fils de militants communistes, tentèrent ce type d’action qui n’a pas marché et qui fut trop méconnue. Le journal clandestin “La voix du soldat” (PCF-PCA) a joué un rôle, malgré la répression. Ce rôle est difficile à mesurer, mais il faut rappeler que c’est la passivité du contingent qui fit échouer la tentative de putsch des généraux, en 1961.

Sur l’anticommunisme des indépendantistes (Messali Hadj) on notera que celui-ci était très lié aux trotskistes lambertistes.

Dans la période du Front Populaire, on doit se rappeler que la montée du nazisme s’est appuyée sur une cinquième colonne dans les colonies.

Mais il y eut beaucoup d’erreurs de langage : le ton des communiqués du Parti en mai 1945, après les massacres de Sétif, était inacceptable.

Le point principal reste cependant la popularité de la colonisation. Alain Ruscio admet qu’il aurait dû commencer son exposé par là. Le premier film anticolonialiste date de 1950 (!) Les Français étaient abreuvés de propagande coloniale. L’Exposition coloniale de 1937 a reçu quatre millions de visiteurs !

[Michel Gruselle ajoute qu’à Decazeville où il habitait, on a dit du premier appelé tué en Algérie qu’il avait été “tué par des balles communistes.”]

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Q5 : Jean Clavel, qui fut l’un de ces “soldats du refus[5]… Le PCF a-t-il été “bon”; par rapport à lui-même? Pas facile de répondre. C’est vrai qu’il a été le seul parti à lutter mais, dans la réalité, convaincre les gens n’était pas chose facile. La grande préoccupation était de ne pas se couper de la population et c’était la raison du slogan “Paix en Algérie !“, le seul qui pouvait rassembler. Mais comment gagner l’essentiel de l’opinion? C’est la raison pour laquelle la position du Parti a évolué, en fonction de la réceptivité et de la sensibilité des gens.

Il faut ajouter quelque chose d’important à la question des “pouvoirs spéciaux” votés au gouver­nement socialiste de Guy Mollet. Le PS avait fait campagne sur la fin de la guerre ce qui lui avait valu une certaine popularité. Je me souviens de deux réunions de cellule où le sentiment domi­nant était l’absence totale de confiance dans les socialistes. Mais avait-on réellement le choix? A l’Assemblée Nationale, Guy Mollet pouvait compter sur les voix de la droite pour avoir les pou­voirs spéciaux sans le vote des députés communistes. Dans tous les cas, on allait reprocher quel­que chose au Parti : “on s’est fait piéger.” Par la suite, évidemment, les gens se sont détournés du PS car celui-ci faisait le lit du gaullisme.

Ici, la question importante c’est d’avoir une position d’avant-garde sans se couper des masses. Le travail clandestin pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie et pendant les conflits d’indépen­dance des pays africains (voir Jean Suret-Canale [6]) a joué un rôle plus important qu’on ne le croit et n’a pas reçu l’éclairage nécessaire.

En ce qui concerne les “soldats du refus”, ça n’a pas marché mais, en 1957, on était dans une période trouble, les gouvernements tombaient les uns après les autres. Et en ce qui concerne l’ac­tion des communistes sur le contingent en Algérie, on ne peut pas dire qu’elle ait été nulle, car c’est le contingent qui a fait échouer le putsch des généraux en 1961.

Q6 : [Henri Benoits, auteur avec sa femme de “L’Algérie au cœur” et coorganisateur de la mani­festation du 17 octobre 1961]. Témoignage d’un vieux militant de Renault. En 1945, les journaux du Parti étaient généralement bien accueillis, à Barbès, chez les ouvriers magrebins (ils l’étaient moins bien chez les Indochinois qui ne parlaient pas français). Evoque ensuite la femme de Maurice Laban (1914-1956)[7], un communiste algérien du PCA qui a pris le maquis et a été tué par l’armée française en 1956. Mme Laban n’a pas pardonné car le groupe de son mari n’a eu pratiquement aucun soutien. C’était une entreprise suicidaire. Ou encore : après le vote des pou­voirs spéciaux à Guy Mollet, les militants délégués algériens de Renault sont allés protester au siège du Comité central. Ils ont quitté le Parti et ont formé la première section du FLN à Renault (fin avril 1956). Lorsque Messali Hadj a été déporté, 600 ouvriers algériens ont débrayé sponta­nément. Mais la “lutte de masse” par rapport à la population française n’était pas facile du tout.

Q7 : (Anne-Marie) N’oubliez pas l’atmosphère de guerre civile à l’époque de l’OAS. Les “Made­lin” (les types du mouvement d’extrême-droite “Occident“) faisaient régner la terreur à la Faculté de Droit. En ce qui concerne les “pouvoirs spéciaux” à Guy Mollet, il y a eu une ingérence amé­ricaine. Période très difficile…

[NB Les Américains (qui se disaient anticolonialistes) marchandaient leur soutien à la politique algérienne des gouvernements français successifs pour l’infléchir dans un sens “libéral”, tandis que les sociétés privées américaines pariaient sur l’indépendance et cherchaient à se placer.]

Q8 : Une remarque et une petite question. Il n’existe pas de contradiction forte entre la “nation en formation” et l’indépendance (c’est une question de vitesse). La question est la suivante : en Algérie vivaient plus d’un million “d’Algériens européens”. Comment et jusqu’à quand le PCF a-t-il essayé de maintenir la possibilité d’une cohabitation avec les Arabes dans un futur Etat indé­pendant?

Réponses.

Sur la “nation en formation”. A l’époque, c’était une théorie hardie. Au même moment, Ferat Abbas écrivait : “J’ai cherché cette nation et ne l’ai trouvée nulle part.”

On a oublié l’atmosphère de l’époque. Au moment de l’affaire de Suez, on a entendu à l’Assem­blée Nationale des insultes anticommunistes inimaginables.

En ce qui concerne la dernière question, je crois que les communistes ont compris que c’était fichu lorsque l’OAS est apparue. Mais déjà, en 1958, la situation paraissait compromise. Si l’on pense aux partisans “pieds-noirs” du “tout ou rien” : après qu’ils aient cru avoir “tout”, ils ont eu “rien”.

 

[1]           Le 9, L’Humanité publie une déclaration du PCF sur les événements d’Algérie : « En de telles circonstances, fidèle à l’enseignement de Lénine, le Parti communiste français, qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et pour la défense de ses droits. »

[2]           Une visite en URSS de l’ex-président de la République Vincent Auriol avait eu lieu du 29 février au 15 mars 1956 et Guy Mollet et Christian Pineau (Ministre des Affaires Etrangères) avaient été invités en mai à Moscou. En outre, la toute première visite officielle de dirigeants soviétiques en Grande Bretagne était prévue du 18 au 27 avril 1956 ; cette visite de Khrouchtchev (Premier Secrétaire du Parti) et Boulganine (Président du Conseil des Ministres) concrétisa un début de “détente”. Certes, le “Rapport Khrouchtchev” qui amorça la déstalinisation avait déjà été lu au XXe congrès du PCUS (dans la nuit du 24-25 au février) mais sa teneur n’était pas encore connue en Occident en mars-avril. Cependant, on était encore loin la crise de Budapest (23 octobre – 10 novembre 1956) et de l’expédition de Suez (2-5 novembre 1956) qui avait été précédée de l’arrestation illégale de Ben Bella (22 octobre 1956) par l’armée française.

[3]           Le film “RAS” d’Yves Boisset (1973) montre les déconvenues d’un jeune appelé communiste en Algérie.

[4]           Encore faut-il dire que les mots d’ordre du Parti catalysaient le rejet de l’OAS par la population et que le soutien à l’indépendance algérienne n’allait pas contre la politique de de Gaulle.

[5]           Interviewé le 16 mars 2012 à France Inter.

[6]           Le géographe Jean Suret-Canale, résistant et militant communiste, a fait connaître l’histoire l’économie et le pillage colonial de l’Afrique dans des ouvrages très documentés : par ex. “Afrique Noire, géographie, civilisation, histoire.” (1973), ou encore : “Afrique et capitaux : géographie des capitaux et des investisse­ments en Afrique.” (1987).

[7]           Auquel Jean-Luc Einaudi a consacré un livre : “Un Algérien, Maurice Laban“, 1999.