Texte M. Gruselle

La défaite de l’URSS. Le devenir des communistes russes

[NOTA BENE : Le présent travail de synthèse ne prétend pas clore les recherches et les débats sur la question. Au contraire, il vise à stimuler des travaux de recherche permettant de mieux comprendre toute cette période.]

Les médias, qui veulent enterrer toute trace de la révolution d’Octobre, tentent de résumer la situation politique en Russie au travers d’un affrontement entre le Président Poutine et les « démocrates ». Ces dits « démocrates » ne représentent qu’une infime fraction de la population. Ils sont pour l’essentiel acquis à une politique de réformes visant à « libérer » le capitalisme russe des acquis de la classe ouvrière que cette dernière tente de préserver. Ils sont souvent les représentants des intérêts capitalistes étrangers en Russie.   Ainsi, les grands moyens d’information, les hommes politiques laissent-ils délibérément dans l’ombre la réalité économique, sociale et politique, la nature des rapports de production en Russie et bien sûr le rôle que jouent les forces sociales et politiques qui agissent et s’affrontent sur le terrain de la lutte des classes.

Dans cette conférence, nous portons plus particulièrement notre attention sur le devenir des forces issues du Parti Communiste de l’Union Soviétique (PCUS) dans l’ex-URSS et plus particulièrement dans la Fédération de Russie.

Il est évident que pour comprendre le cours des choses, il convient de procéder à quelques brefs rappels historiques. Il est nécessaire de mettre en évidence la nature profonde des changements qui se sont produits, en particulier, dans la période dite de la « perestroika » jusqu’à la fin de l’URSS et à nos jours.

Le 18 septembre auront lieu les élections à la Douma d’État. Les forces politiques – celles qui pourront se présenter aux élections, la loi étant très restrictive –  doivent livrer à cette occasion  la vision qu’elles ont de la profonde crise économique, sociale et politique qui traverse la Russie et des solutions qu’elles entendent mettre en œuvre pour la surmonter. La préparation de ces élections est donc un moment important pour situer la position des uns et des autres dans le champ politique.

Le plan de notre conférence sera le suivant:

  1. De la République Fédérative Socialiste Soviétique de Russie (RFSSR) dans l’URSS à la fédération de Russie
  2. Le tournant de 1993
  3. La nature du régime russe
  4. Reconstitution de partis se réclamant du socialisme
  5. Perspectives enseignements et questionnements
  1. De la RFSSR dans l’URSS à la fédération de Russie

Dans ce bref rappel historique, nous entendons mettre l’accent sur les points qui nous semblent déterminants pour comprendre les évolutions postérieures à la défaite de l’URSS. Les raisons de cette défaite historique et qui évidemment pèse lourd dans la balance du rapport des forces internationales peuvent se résumer ainsi : La révolution d’Octobre qui a mis fin à l’absolutisme tsariste ne fut pas un « débat citoyen propre et poli », ce fut une lutte à mort entre les forces révolutionnaires et celles de la bourgeoisie, de l’aristocratie et de leurs alliés étrangers. La construction d’une société socialiste dans un tel environnement hostile, dans les conditions d’une Russie profondément rurale où la classe ouvrière si elle est minoritaire n’en est pas moins concentrée et ou le développement capitaliste est dynamique, cette construction a été un  combat sans merci. Le choix stratégique de l’industrialisation du pays pour en faire une puissance susceptible de résister aux objectifs de destruction portés par les forces internationales du grand capital a été décisif. Cette lutte a eu évidemment des conséquences importantes dans un parti communiste travaillé par de fortes contradictions, portant le poids de la direction de l’État tout en étant soumis aux pesanteurs du passé. Ce choix de l’industrialisation a permis à l’URSS de ne pas sombrer sous les coups de boutoir de l’impérialisme et en particulier de l’agression de l’Allemagne nazie. Sortie vainqueur, mais exsangue de la lutte contre le nazisme hitlérien, l’URSS a perdu la guerre, pas si froide que cela, menée par tous les pays capitalistes sous la houlette des USA. Cette lutte a épuisé les ressources de l’URSS. L’essoufflement des courants révolutionnaires dans le monde a contribué à un isolement relatif de l’URSS entraînant le retour dans le champ politique et idéologique de forces acquises au compromis avec l’impérialisme. L’absence de travail idéologique du parti, comme les illusions sur la nature des régimes capitalistes ont entretenu l’idée d’une possible convergence des deux mondes capitaliste et socialiste.

Les débats idéologiques, les polémiques parfois très aiguës, ont toujours caractérisé le mouvement communiste en Russie et en URSS et le chemin du Parti Social-Démocrate Ouvrier de Russie (PSDOR) au Parti Communiste Bolchevik PC(b) n’a pas été simple. Il a demandé un travail tenace mené en particulier par Lénine et Staline. Les tendances au compromis, perceptibles dès les années 1950, ce sont  imposées avec le tournant du XXe congrès de 1956. Elles se sont consolidées dans la période brejnévienne puis sont devenues dominantes dans ce qui fut nommé « perestroïka ». Elles ont entraîné des transformations économiques de privatisation de la propriété publique qui ont constitué la base sociale des changements ultérieurs.

C’est évidemment dans ce contexte qu’il convient d’analyser les événements qui ont conduit à la liquidation de l’URSS. S’attarder aux détails sur la responsabilité d’un tel ou d’un autre entraîne immanquablement à sous estimer les raisons objectives de cette défaite.

Il est pour notre propos intéressant d’étudier les effets de ce processus sur le Parti Communiste de l’Union Soviétique (PCUS) lui-même. Il est en effet, le pivot de la vie politique, sociale, économique et administrative du pays.

Le parti puissant par le nombre, près de 16 millions d’adhérents dans les années 1980, reconnu par la constitution selon l’article 6 comme le parti dirigeant, était miné par un processus de bureaucratisation qui mettait de fait son appareil hors du contrôle de la classe ouvrière (le nombre de permanents de l’appareil du Comité Central par exemple est multiplié par plus de 10 entre 1953 et 1985 ; il n’y a pratiquement plus de collaborateurs militants). Il était devenu selon la terminologie officielle:” le parti de tout le peuple”, tandis que dans le même temps, et en s’appuyant sur le rôle que le parti avait joué pendant l’édification du socialisme et pendant la guerre, se répandait une conception élitiste chez les cadres du parti, nourrissant ce que Lénine stigmatisait déjà comme « la morgue du cadre communiste ». Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le carriérisme, le conformisme, le copinage, les petits avantages que procuraient l’appartenance au parti, prennent le pas sur la lutte politique et que la corruption mine les rouages du pouvoir jusqu’à un haut niveau.

C’est dans ces conditions que la phase dite de la “perestroïka” a pu conduire dans un rapport de force défavorable à l’échelle internationale, à la liquidation du PCUS et de l’URSS.

La “perestroïka” ne constitue pas à proprement parler une rupture politique avec la période antérieure. Elle en accentue les traits et marque l’aboutissement d’un processus long marqué par les rapports de forces entre l’impérialisme et les pays socialistes et qui conduit in fine à la destruction de l’URSS.

Sans entrer dans les détails, il convient cependant de rappeler quelques dates et événements significatifs qui aboutissent à l’interdiction et à la disparition du PCUS et de l’URSS.

Le XXVIIe congrès de 1986 est marqué par les attaques de Gorbatchev contre Brejnev. Il qualifie cette période comme une période de stagnation pour mieux mettre en lumière sa volonté de changement sans toutefois mettre en cause, du moins clairement, la nature socialiste de l’URSS, de son côté Eltsine met en cause le rôle du parti dans les affaires économiques. Si chacun avance à pas feutrés l’orientation générale tend à contester et à remettre en cause le rôle du parti dans la société soviétique. Les changements les plus significatifs ont lieu dans les organes dirigeants et en particulier dans le bureau politique. L’émergence de dirigeants se réclamant de la social-démocratie et favorables à un compromis plus avancé avec les pays impérialistes y est patent.

Cette situation, si elle ne soulève pas d’indignation de masse dans le parti, suscite des réactions que l’on peut qualifier de prémices dans l’évolution des communistes vis à vis du cours politique. Ainsi, en mars 1988, dans le journal “Sovetskaïa Rossia” est publié, fort opportunément, un article critique de N. Andreeva, une enseignante de Leningrad : “je ne peux pas renoncer à mes principes”. Le choix de publier cet article parmi des milliers d’autres est éminemment politique de la part de la direction du journal. Il permet à Iakovlev, l’idéologue de la “perestroïka”, d’y apporter une réponse dans la “Pravda”. Cette réponse cinglante donne le ton de la bataille idéologique contre tous ceux qui entendent contester l’orientation de la  “perestroïka”. Il est possible de dire que la publication de cet article de Andreeva a permis de « lâcher les chiens » pour arrêter les critiques qui se développent dans l’appareil le parti et son appareil.

La XIXe conférence du PCUS en 1988 fait l’objet d’une intense campagne politique sur le thème des “anciens” et des “modernes”, de la « droite » et de la « gauche ». Les “anciens”, la « droite », étant évidemment, entre autres, ceux qui refusent la liquidation du parti.

En 1989, les partis communistes des Républiques de l’Union se déclarèrent indépendants du PCUS et le système électoral est modifié mettant à bas le système basé sur les « soviets » pour le remplacer par des assemblées élues sur la base de candidatures multiples qui n’ont besoin d’aucune appréciation par les organisations politique (le PCUS) et sociales. À cette occasion, à tous les niveaux, les éléments anti-soviétiques et anti-communistes prennent une part importante. Le retour de Sakharov, imposé par Gorbatchev a servi de prétexte à une opération d’envergure pour discréditer l’URSS, Sakharov se faisant le porte-parole d’une transformation de la société avec comme modèle l’Europe occidentale capitaliste.

Toutefois, les choses ne sont pas si simples et si faciles que beaucoup tentent de le faire croire aujourd’hui. En réponse à ces attaques contre l’URSS et à la montée nationaliste dans de nombreuses Républiques, visant à les détacher de l’Union, a été créé le « Front Uni des Travailleurs de l’URSS (OFT-CCCP) ». Ce front a été décliné sous forme de « Fronts Internationalistes » qui ont été particulièrement actifs en Moldavie et dans les pays baltes en réponse aux « Fronts Populaires» servant de paravent aux forces les plus nationalistes. Ces « fronts populaires » se sont d’ailleurs vite transformés en partis nationalistes.

Dans la période 1989-90 la bataille politique tourne autour de l’article 6 de la constitution. La « Plate forme démocratique » d’inspiration social-démocrate fondée en 1990 a été particulièrement active pour exiger la suppression de l’article 6 de la constitution, article rappelons le qui affirmait le rôle dirigeant du PCUS. Issue de l’organisation russe du Front Uni des Travailleurs est né « Le mouvement de l’initiative communiste ». IL a joué un rôle déterminant dans la constitution du Parti Communiste de la RFSSR. Le premier secrétaire élu fut un responsable du parti de Krasnodarsk I. Polozkov connu pour ses positions politiques fermes. Rappelons que jusqu’à ce congrès fondateur il n’y avait pas de parti communiste pour la RFSSR. Il convient aussi de noter que dans cette période, la question nationale est particulièrement sensible et va souvent servir de paravent  aux opérations de liquidation du PCUS, de la propriété publique et de l’URSS.

Le XXVIIIe congrès du PCUS en juin vit l’intervention ouverte des adversaires du PCUS et fut marqué par le départ démonstratif du parti de B. Eltsine et de ses acolytes. Le congrès fut incapable, compte tenu des divergences, d’adopter un programme pour le PCUS. Les divergences idéologiques furent actées dans l’organisation même du parti et le constat fut fait par Gorbatchev de l’existence d’au moins deux à trois partis dans le PCUS.

Dès 1991, Iakovlev et Chevernadzé mirent en chantier la création d’un nouveau parti de type social-démocrate, tandis que Gorbatchev proposait la division de la Fédération de Russie en dix-neuf régions autonomes ayant un statut de République. Cette période est marquée par l’amplification des forces centrifuges visant à la destruction de l’URSS et même de la Fédération de Russie. Ainsi, la majorité du groupe (en Russie on parle de fraction) des députés communistes au soviet suprême vote-t-elle pour la fin de l’URSS.

Cette période est aussi marquée par la floraison d’un nombre important de mouvements et de plates-formes issus du PCUS. Ces plate-formes représentent un large spectre politique allant du marxisme-léninisme jusqu’au nationalisme. Pour achever la description du paysage politique, il ne faut pas oublier le Parti Libéral Démocrate de Russie dirigé par V. Jirinovski, parti qui se situe à « l’extrême droite » nationaliste russe et qui jouit d’une couverture médiatique importante. Du PCUS naissent aussi quelques mouvements comme : « L’union pour les idéaux communistes et le léninisme », « le parti marxiste du travail, parti de la dictature du prolétariat ».

De la « plate-forme démocratique » naît le « Parti Démocratique des Communistes » (PDC) où l’on retrouve A. Routskoï qui fut vice-président de Eltsine en 1991 et A. Loukachenko futur Président de la République de Biélorussie. Ce PDC se transforme ensuite en « Parti Populaire de la Libre Russie ».

Aux référendum de mars 1991, accompagné d’un référendum sur le maintien ou non de l’URSS les résultats s’ils peuvent apparaître contradictoires sont significatifs des tendances lourdes de la situation.

La majorité des 75 % de votants se prononcent très largement pour l’élection d’un Président au suffrage universel. Sur le oui ou non à l’URSS, le résultat est clair avec une participation de 80%. En effet, 78% des votants se prononcent pour le maintien de l’URSS.

Le 12 juin 1991 Eltsine sort vainqueur du scrutin présidentiel avec 57% des voix devant Ryjkov, alors premier Ministre et qui porte le poids de la dégradation continue des conditions de vie dans la période de la perestroïka ,17% et Jirinovski 8%.

Les communistes qui contestent le cours liquidateur ne sont pas sans partisan. Le 7 novembre 1991, pour célébrer la Grande Révolution d’Octobre, ils rassemblent 50.000 personnes à Moscou. Ils sont présentés comme des réactionnaires et accusés de vouloir déstabiliser le pays. Les « Démocrates » se présentent eux comme des révolutionnaires. Si maintenant Eltsine est honni par la population, il faut se rappeler qu’à l’époque il était une figure charismatique, comme étaient écoutés et entendus les « conseillers américains ». L’URSS paraissait indestructible et pourtant….

En février 1991 à l’initiative du PC de la RFSSR se tient une conférence pour : « Une grande Russie unie » il en sort un « bloc russe national-patriotique ». L’un des co-Président de ce bloc n’est autre que G. Ziouganov qui deviendra par la suite secrétaire général du Parti Communiste de la Fédération de Russie.

En juillet 1991, à Minsk, le mouvement « Unité » d’Andreeva organise une conférence de la « plate-forme bolchevik dans le PCUS ». Elle exprime sa défiance envers Gorbatchev et désigne un comité d’organisation pour le XXIXe congrès du parti.

Dans une situation particulièrement troublée, les forces de dislocation de l’État et du parti se renforcent et amplifient le chaos. Les centres de pouvoir entraînent l’URSS vers un démembrement dans lequel les affrontements armés sont déjà une réalité et les risques de guerre civile réels. La tentative de modifier le cours politique en rétablissant l’autorité de l’État central par le « Comité d’État pour l’état d’urgence » et dont les tenants et aboutissants restent encore obscurs, est mise en échec en trois jours. A aucun moment, le comité d’État pour l’état d’urgence ne fait appel aux forces acquises au socialisme au sein du parti et de la société. L’échec de cette tentative accélère la prise du pouvoir par le groupe eltsinien et conduit à l’interdiction du PCUS. Le tribunal constitutionnel prend une décision de dissolution des organes de direction du PCUS, mais maintient leur droit à former de nouvelles directions. Cette interdiction, sans réaction notable a constitué le premier pas de l’intégration de l’ancien appareil du parti dans le nouveau pouvoir.

Toutefois, les initiatives se multiplient pour reconstituer une force politique communiste. Ainsi, un groupe d’initiative se forme pour la création d’un « Parti du Travail » orienté en direction des salariés et des syndicats. Ce groupe est constitué de membres de la « plate-forme marxiste ». Cette plate-forme veut construire un nouveau parti communiste, mais les divergences internes sur le programme et l’appréciation sur le rôle du « Comité d’État pour l’état d’urgence » l’en empêche. Quatre partis sont issus de cette plate-forme : « Le Parti Russe des Communistes », « l’Union des Communistes », « L e PCUS » de C. Skortsoba et le « Parti du Travail ».

Le mouvement « Unité » et la « Plate-forme bolchévik » réunissent un congrès à Leningrad et fondent le « Parti Communiste des Bolchevik de toute l’Union (VKPB) ». Le congrès élit N. Andreevna comme secrétaire général du parti. Ce parti très minoritaire existe encore aujourd’hui.

A Ekaterinburg 525 délégués venus de toute la Russie tiennent un congrès constitutif du « Parti Communiste des Ouvriers de Russie ». Le nombre de mouvements et de partis qui naissent du PCUS est si grand qu’il est difficile d’en tenir la comptabilité et d’en décrire l’orientation précise. Tout cela témoigne de la profondeur des forces de dislocation qui sont en mouvement.

Ainsi du PCUS, naissent trois courants principaux:

– Un courant ouvertement ou plus discrètement anti-communiste et anti-soviétique.  Il est possible de classer dans ce courant le Parti Libéral Démocrate Russe (PDLR), les partis et mouvements qui soutiennent Eltsine.

– Un courant se référant à l’idéologie communiste et aux Nations en construction en particulier en Russie. Ce courant donnera naissance au KPRF .

– Un courant pour la renaissance du PCUS avec en particulier le PCOR.

Tous ces courants sont confrontés à la question de l’Union dans un contexte d’affirmation d’États indépendants. Cette question est évidemment liée à la nature et au devenir de l’URSS.

Pendant une courte période, les deux centres du pouvoir, celui montant de la Russie et celui vacillant de l’URSS se livrent une bataille acharnée. Cette lutte que l’on peut qualifier de clanique tant les divergences de fond sont minces entre les protagonistes, porte sur la nature de la future union dont tous s’accordent à penser qu’elle ne peut être ni socialiste ni soviétique et ni fédérative. Après l’échec d’une redéfinition d’une Union se substituant à l’URSS, B. N. Eltsine ainsi que ses homologues d’Ukraine (L. Kravtchouk) et de Biélorussie (S. Chouchkievitch) se rencontrent à Minsk le 8 décembre 1911 et concluent les accords de Belajeva qui décident de la dissolution de l’URSS.

  1. Le tournant de 1993

Nous devons consacrer une attention particulière à la crise politique de 1993 qui marque un tournant décisif dans l ‘évolution de la Russie. Cette crise, qui se termine par le coup d’État qui assoie définitivement le pouvoir de Eltsine et de son groupe, sonne la fin de la dualité de pouvoir entre ceux qui veulent, de manière irréversible, asseoir une économie capitaliste préconisée par « l’école de Chicago » et qui a inspiré tout ce que l’on nomme le « néo-libéralisme » thatcherien ou pinochiste et ceux qui préconisent une voie médiane et plus progressive préservant les acquis sociaux. En fait, plus que de divergences, il s’agit de tactiques dans la mise en œuvre d’une politique massive de privatisations.

Ce coup d’État, voulue et préparée de longue main par Eltsine et son groupe, bénéficie du soutien et de l’aide des dirigeants américains, des dirigeants européens et du FMI qui y voient le coup de grâce porté au « communisme ». C’est l’épilogue d’un conflit de plus d’un an avec le parlement dont le décret N° 1400 du Président Eltsine prévoit la dissolution.

L’affaire n’arrive pas brutalement dans un ciel serein. Dès 1992, le coup d’envoi de la « thérapie de choc » mise en œuvre par E. Gaïdar , premier Ministre, et A. Tchoubaïs en charge des privatisations avec l’assistance d’experts US et du FMI, conduit à un effondrement de l’économie. Le pillage généralisé avec la complicité de l’État par les oligarques locaux et les monopoles étrangers produit un séisme économique et social. De 1992 à 1993 les prix sont multipliés par 250 et les salaires par 120, selon les syndicats 80 % de la population passe sous le minimum vital. Il ne s’agit même plus de misère mais tout simplement de survie biologique. Des millions de travailleurs sont quasiment dépossédés de leurs biens y compris immobilier, ce qui entraîne une « clochardisation » de masse. La violence règne partout, l’économie de l’ombre prend le dessus. Le troc devient le moyen d’échange entre des citoyens qui ne perçoivent plus de salaire. Les structures politiques éclatent et l’on voit même des barrières douanières s’élever au sein de la Fédération avec des tendances à la désintégration. Au niveau démographique il y a entre 1992 et 1998 un excédent de décès de trois millions, l’espérance de vie chute brutalement de 69 ans à 58 ans pour les hommes. Une poignée de la population, issue des anciennes couches dirigeantes et de l’économie maffieuse qui gangrène l’économie et qui a pris un statut officiel sous la « perestroika » avec le formation de « coopératives » (il y a même des chansons pour se moquer de ces fameuses coopératives qui ne sont que le moyen de légaliser cette « économie de l’ombre ») s’accaparent de 70 à 80 % des richesses. Cette crise sociale sans précédent affaiblit de manière significative les foyers de résistance à la « thérapie de choc ». Pourtant les manifestations de mécontentement se multiplient et prennent souvent un tour violent. Elles sont violemment réprimées. La situation est si grave que les malheurs du Peuple trouvent un écho au Parlement. E. Gaïdar est momentanément écarté au profit de V. Tchernomyrdine, homme de Gazprom, plus proche du capital industriel que financier. Ce Tchernomyrdine qui a eu cette phrase célèbre : « nous avons fait du mieux possible et nous avons obtenu le même résultat que d’habitude » qui en dit long sur les tendances lourdes de la dégradation du pays. Eltsine, dont la popularité s’effrite garde malgré tout  une certaine popularité et son référendum de confiance est validé avec cependant un nombre de votants très faible (37%). Si le Président apparaît comme le dernier rempart de la déchéance de la Russie et comme celui qui a le soutien des USA et des experts étrangers, le Parlement lui reflète la révolte qui gronde et freine en partie la mise en œuvre du passage au capitalisme ou du moins tend à en atténuer les aspects les plus violents. Cette situation est jugée inadmissible par les commanditaires étrangers de B. Eltsine qui le somment d’agir et vite. Il reçoit pour cela la bénédiction de Clinton. La réintégration de Gaïdar comme premier Ministre est le signal de la mise en route du coup d’État. C’est à coup de canon contre le Parlement et tous ceux qui l’ont soutenu que la question est réglée, sans émotion particulière chez les « chatouilleux défenseurs de la démocratie ».

Le résultat de cet affrontement, c’est l’affirmation d’un régime présidentiel autoritaire et la liquidation du régime parlementaire. C’est aussi la consécration du pouvoir oligarchique dans ses composantes économiques, politiques et policières.

Quelles furent les positions des forces politiques et sociales dans cette période ?

Il y avait ceux qui avaient conduit la « thérapie de choc » et entendaient asseoir le pouvoir de l’oligarchie naissante. On retrouve là, entre autres, autour de B. Eltsine les Gaïdar, Tchoubaïs, Kozyrev (Ministre des affaires étrangères très lié aux milieux US), mais aussi Soptchak Maire de Leningrad et son adjoint V. Poutine responsable des privatisations dans cette ville, on y retrouve aussi les sept banquiers qui raflèrent une grande partie des économies du peuple russe.

Il y avait ceux qui partageaient l’objectif de liquidation de l’URSS et du socialisme mais qui entendaient mener une transition « plus douce ». On y retrouve une partie des structures de force comme le KGB qui a été un foyer du réformisme au moins depuis le début des années 1980.

Il y avait tous ceux qui avait aidé et suivi l’ascension de Eltsine et qui souhaitaient jouer un rôle plus important, c’est le cas de Routskoï (vice-Président). Ses rapports avec les forces néofascistes contribuèrent à son discrédit.

Dans les forces dites « centristes » et favorables à un compromis on trouve l’église orthodoxe qui se positionna sans succès comme médiateur.

Le Parti Communiste de la Fédération de Russie qui soutint la révolte du Parlement ne s’engagea pas au-delà prônant une sorte de réconciliation nationale, tandis que le Parti Communiste des Ouvriers de Russie, le mouvement Russie Laborieuse de V. Anpilov et le parti Bolchevik de N. Andreeva se placèrent clairement dans le camp de ceux qui organisèrent les manifestations et participèrent à la défense du Parlement.

  1. La nature du régime russe

Cette question est de toute première importance. En effet, l’appréciation que l’on porte sur la nature du régime de la Russie influence beaucoup les jugements sur son action. Pour la plupart de nos média, qui ont encensé Eltsine et les « démocrates » lorsqu’ils s’agissait d’en finir avec l’URSS et qui ne furent pas très regardant sur les méthodes utilisées, Poutine est un dictateur menant la Russie vers une « re-soviétisation » de la Russie. A l’évidence une telle appréciation a pour objectif de faire de la Russie un adversaire en réactivant les réflexes anti-soviétiques qui ont été utilisés contre l’URSS pendant toute la guerre froide. Cette position permet de justifier le réarmement de l’Europe Centrale sous la houlette de l’OTAN et l’intégration de nombreux pays de l’ex pacte de Varsovie dans la structure de l’OTAN.

Pour d’autres, le remplacement de Eltsine par Poutine, lors de ce qu’il faut appeler par son nom : un coup d’État, marque le début d’une réappropriation de l’histoire de l’URSS et même de reconstruction de cette Union et confère au régime une certaine légitimité à intervenir dans son espace proche. La Russie de Poutine serait donc un adversaire de l’impérialisme américain et occidental et donc au bilan jouerait un rôle positif dans le rapport des forces anti-impérialistes. Nous allons développer maintenant cette question tout a fait importante et qui a évidemment des conséquences sur le développement des forces politiques qui se réclament du socialisme.

Il faut d’abord observer que le soutien populaire à V. Poutine après des années de troubles est essentiellement lié à la réaffirmation de l’État. Par exemple les salaires et les pensions ont recommencé à être versés. Poutine affirme que ce qui doit faire droit : « c’est la dictature de la loi ». pour une population traumatisée par la thérapie de choc, cette affirmation de l’ordre semble indiquer un retour à une certaine normalité. De plus Poutine joue de la corde sensible de la disparition de l’URSS : « un très grand malheur mais vouloir la reconstituer est tout simplement fou ». Un indice encore, si les paroles changent, l’hymne national de la Russie redevient pour sa musique celui de l’URSS. Ce que la période eltsinienne avait voulu effacer des mémoires remonte à la surface, ce d’autant que l’expérience du capitalisme à un goût particulièrement amer. Tous les sondages d’opinions notent le retour en force des valeurs portées par l’URSS. Tout cela ne fait pas un retour à l’URSS ni au socialisme. Nous devons donc répondre à la question : Quelle est la nature du régime aujourd’hui.

Pour répondre objectivement à la question : « quel est la nature du régime russe aujourd’hui ? » il convient de faire un point rapide sur les réformes qui ont modifié le droit de propriété. (voir le travail de Diane Skoda : La propriété en Russie aujourd’hui, 2009).

Il faut tout d’abord rappeler que la Russie est un État fédéral multinational d’environ 140 millions d’habitants. C’est la dixième puissance mondiale en terme de PIB mais une des toutes premières en matière militaire. La fédération est constituée de 83 entités nommées « sujets ». Ces sujets ont des droits égaux mais ils différent dans leur degré d’autonomie. La constitution de 1993 qui est la source du droit s’applique à tous les sujets de la fédération et les décrets fédéraux ont, en principe, la primauté sur ceux des sujets.

Le régime est présidentiel il est pourvu d’une chambre basse : la Douma d’État et d’une chambre haute : le conseil de la Fédération.

Depuis 1991, ce qui caractérise l’orientation générale de la politique du pays, c’est la privatisation de la propriété socialiste étatique en propriété privée. Dans la période qui va jusqu’à la prise du pouvoir par Poutine, l’essentiel de la transformation concerne la privatisation de l’industrie et l’adoption de normes juridiques permettant cette privatisation. Jusqu’à cette période la question pourtant centrale et décisive de la propriété de la terre, sujet hautement sensible dans un pays comme la Russie, n’est pas résolue. C’est à partir de la prise du pouvoir par Poutine que la terre russe devient commercialisable et cesse d’être un bien à part. Si dans les premières années, celles de Eltsine, le droit foncier est à peine effleuré par les législateurs, l’idée dominante du pouvoir de l’époque est la destruction des structures agraires soviétiques au bénéfice des fermiers individuels. Cette politique est un échec patent.

La période suivante, celle de Poutine, est marquée à la fois par un code foncier qui fait de la terre un bien comme un autre et en même temps apporte une aide accrue aux formes d’organisation issues du système agraire soviétique. Ainsi, on retrouve pour l’essentiel une agriculture et une industrie agro-alimentaire de type industrielle héritée des structures soviétiques et dont la base juridique sont des ZAO (société par actions fermée). Le droit protège en fait l’accaparement des terres par des mains étrangères à la Russie.

Il est donc intéressant de noter que cette question foncière, centrale pour le développement d’une économie capitaliste est résolue sous la direction du pouvoir actuel. C’est à la période poutinienne que l’on doit cette transformation fondamentale du point de vue du droit qui est la reconnaissance de la propriété privée  foncière.

En ce qui concerne les entreprises, il existe des entreprises publiques de type monopole d’État, dans les grands secteurs de production : les hydrocarbures et le gaz (Gazprom est la plus célèbre), l’atome (Rosatom), le spatial, le secteur militaro-industriel, le secteur bancaire avec Sberbank…Ces entreprises sont dirigées presque en direct par le pouvoir. Elles constituent des monopoles d’état mis au service du développement du capitalisme russe. Il est à noter que la tendance à la privatisation s’accentue y compris dans le secteur bancaire et industriel. Il est possible de dire que le système russe est celui d’un capitalisme de monopole privés et/ou publics.

La structure juridique des entreprises privées se caractérise de la manière suivante :

les OOO qui sont les équivalents de nos SARL

les ZAO équivalent d’une Société Anonyme non cotée

les OAO équivalent d’une Société Anonyme cotée

La question des ZAO est un problème politique sensible car, c’est en gros sous la structure de ZAO que se sont formées les coopératives aussi bien dans le domaine industriel que dans le complexe agro-alimentaire quand dans les processus de privatisation, les entreprises concernées ne n’ont pas été privatisées, soit parce que ces entreprises représentaient un faible intérêts en terme de profit, soit parce que les collectifs de travailleurs ont résisté a leurs privatisations.

Ainsi, le plénum du Comité Central du PCFR de mars 2016 a été consacré à la question de l’économie populaire. L’intervention du secrétaire général du PCFR, Zougianov, est significative de l’importance que ce parti accorde à la question et elle est tout aussi révélatrice de ses orientations. Il présente ces entreprises populaires comme le pivot du redressement économique de la Russie et affirme en conclusion que : « aux entreprises collectives, il faut un parti de gauche fort pour la défense et l’expression politique de leurs intérêts ». Dans la même intervention le secrétaire général du PCFR indique que le modèle chinois est celui du développement socialiste !

Pour terminer et conclure sur la nature du régime russe, il convient de dire un mot sur la question sociale. La « transition » vers le capitalisme a conduit à un bouleversement de la société russe. L’enrichissement d’une poignée, leur prise de pouvoir violente dans tous les domaines, l’appauvrissement de la masse de la population ont des conséquences humaines et sociales considérables dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la recherche, de la sécurité des citoyens… Tout cela s’est encore accentué dans le contexte de la crise liée à la chute du cours des hydrocarbures et aux sanctions contre la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne. Si une grande partie de la population a adopté des stratégies de survie et semble hors du champ politique et social, il n’est que de voir le niveau d’abstention aux élections, ceux qui s’organisent et relèvent la tête font l’objet d’une forte, voire violente, répression sur la base d’un contrôle social impliquant les organisations syndicales officielles qui prônent la collaboration de classe et l’appareil répressif d’État auquel s’ajoute des milices privées commanditées par les couches oligarchiques. Rappelons que la principale organisation syndicale à l’échelle de la Russie est la Fédération des Syndicats Indépendants qui est l’héritière du Conseil Central des Syndicats de l’URSS. Elle compte entre 20 et 45 millions d’adhérents selon les sources. Elle est membre de la Confédération Syndicale Internationale et y a une vice-présidence. Cette fédération est très liée au pouvoir et la lutte sociale n’est pas sa tasse de thé. Son Président M Chmakov, élu du parti au pouvoir, est responsable de  la commission des affaires sociales à la Douma. Le premier mai cette fédération organise une manifestation conjointement avec le parti « Russie Unie » le parti de Poutine. Son vice-président a participé au congrès du FN à Lyon en 2015 (il faut rappeler que le FN est très bien en cours dans la Russie d’aujourd’hui). Cette fédération gère un énorme patrimoine issue de l’URSS où les syndicats jouaient un rôle social très important en matière de santé, de vacances et de protection sociale. La fondation F. Ebert a publié une intéressante étude sur les syndicats russes et note, entre autre, leur faiblesse revendicative : tout un programme ! A côté de cette fédération, existe d’autres organisations nettement plus combatives, mais minoritaires, qui mènent des luttes ouvrières dures en particulier dans l’industrie. Ces organisations sont l’objet d’une répression patronale et de l’État.

La vie démocratique est réduite à sa plus simple expression et le parti au pouvoir : « Russie Unie » est un appareil administratif intégré à l’État. Il exerce un contrôle social au service de l’oligarchie. C’est vrai, en particulier, pour tous ceux qui travaillent pour l’État : instituteurs, agents des services publics… qui sont soumis à de fortes pressions au moment des élections. Par exemple donner son passeport pour un vote par procuration ou risquer la porte !

En conclusion, nous affirmons que la Russie issue de l’URSS est un pays capitaliste avec une tendance à des formes corporatistes d’organisation sociale. Sa puissance militaire, son intégration dans le capitalisme mondial font que ce pays a atteint un stade impérialiste. Cependant, il faut tenir compte des particularités russes. Alors que dans les pays impérialistes anciens la formation des monopoles a été le résultat d’un processus long d’accumulation et de concentration du capital, elle est en Russie, dans un temps court, le résultat d’un processus de pillage de la propriété publique qui a donné naissance à une oligarchie puissante et fermement installée dans l’appareil d’État.

  1. Les partis se réclamant du socialisme

En premier lieu, il est impossible d’en tenir la comptabilité. Du PCUS sont issus une masse de parti et de mouvements se réclamant du PCUS, de l’URSS et de sa renaissance. Ces partis et mouvements ont joué, au fil des événements, des rôles plus ou moins importants dans les luttes politiques qui ont marqué la destruction de l’URSS. Ces partis et mouvements ont constitué et constitue un spectre important allant de la social-démocratie à ce que l’on appelle les « nationaux-bolchéviks » de E. Limonov. Ce dernier parti a été inspiré par A. Douguine qui en est le réel fondateur et l’idéologue. Ce parti a défendu l’idée de la création d’un grand empire eurasien qui inclurait la totalité de l’Europe et de la Russie. Ce parti  antiaméricain voyait en la création d’un empire eurasien un contrepoids à la domination des USA. Les thèses de A. Douguine ont largement alimenté et très au-delà du parti national-bolchévik la pensée politique en Russie, activant sur la base du national-patriotisme les sentiments de résistance à une pénétration du « cosmopolitisme » véhiculé par l’Occident porteur de la destruction de l’URSS et de la Russie.

Le Parti Communiste de la Fédération de Russie (KPRF)

Le Parti Communiste de la Fédération de Russie, dont le secrétaire général est G. Ziouganov est le plus important en nombre et en influence des partis se réclamant du communisme. Il est organisé sur tout le territoire de la fédération. Il revendique 184.000 adhérents. Au dernières élections à la Douma d’État en 2011, élections qui se tiennent à la proportionnelle mais ou l’accès aux candidatures est limité, nous y reviendrons. Il a obtenu 19,2 %  des voix (11,5 % en 2007)et 92 députés sur les 450 que compte la Douma. La participation à ces élections a été de 60 %. Russie Unie a obtenu 49,3 %  et 238 députés (64 % en 2007), Russie Juste 13,2 % et 64 députés, Le PLDR 11,7 %  et 56 députés (8,14%). Le parti Iabloko, ouvertement partisan du capitalisme a obtenu 3,2 %. Au niveau des sujets de la Fédération le PCFR obtient des résultats différenciés. Ses résultats sont en moyenne meilleurs dans les grandes villes industrielles hors Moscou et St Petersburg. Il a remporté quelques succès dans des grandes villes lors de l’élection des maires. Ainsi le maire de Novossibirsk, 3e ville de Russie, est membres du PCFR.

  1. Ziouganov a été le candidat du PCFR à toutes les élections présidentielles et s’est toujours placé en deuxième position. Son résultat variant au premier tour de 17 % à 32 % lors des élections de 1996 contre B. Eltsine.

Le PCFR se réclame de l’idéologie marxiste-léniniste qu’il teinte d’une forte dose de national-patriotisme russe. Il fait une référence appuyée au concept « eurasiatique » et il prend souvent le développement actuel de la Chine comme un modèle pour la Russie. S’il affirme vouloir la nationalisation des grands moyens de productions et en particulier celle des ressources minérales, il attache, nous l’avons vu, beaucoup d’importance au développement de ce qu’il appelle les entreprises populaires (ZAO) dont il entend se faire le porte-parole. Dans son discours consacré à cette question lors du dernier plénum du parti, G. Ziouganov insiste sur le fait que la tendance au développement des coopératives est mondiale et constitue une voie de développement anti-capitaliste. Dans le discours du PCFR se retrouve souvent l’idée qu’il faut à la Russie une : «  nouvelle équipe et un nouveau programme ». Le caractère institutionnel, plus que de lutte, du parti est revendiqué ainsi, récemment à « Radio Russie » G. Ziouganov affirme : « On peut résoudre les problèmes soit avec le vote, soit avec les pavés, nous n’avons pas besoin de Maïdan ». La référence au « pavé » n’est pas neutre, il s’agit d’une célèbre sculpture de l’époque révolutionnaire qui se trouve dans la nouvelle galerie Trétiakov et qui este intitulée : « le pavé c’est l’arme du prolétaire ».

En ce qui concerne son appréciation de la politique étrangère actuelle, il apporte un soutien sans faille au pouvoir, sa critique se focalisant sur le fait que la politique intérieure qui est menée ne permet pas d’aller jusqu’au bout des ambitions de puissance de la Russie. Une référence permanente est faite au fait que l’URSS était précisément une puissance de premier ordre.

Le Parti Communiste des Ouvriers de Russie (RKRP)

Le PCOR est issu en 1991 du « mouvement de l’initiative communiste ». Ce parti est dirigé par V.Tyulkin. Son influence est réelle en particulier dans de grands centres industriels comme Tioumen (700.000 habitants) en Sibérie. Dans les années 1993, ce parti qui joue un rôle actif dans la défense de l’URSS compte environ 60.000 adhérents. Ce parti se réclame du marxisme-léninisme. Il n’a pas pu présenter de candidats aux dernières élections du fait d’une loi électorale restrictive obtenue il faut le dire avec l’accord du PCFR. En effet, il ne peut pas y avoir deux partis se réclamant du communisme ce qui interdit de fait au PCOR d’avoir ses propres candidats.

Le PCOR apporte un soutien clair aux luttes ouvrières. Il dénonce l’opportunisme du PCFR et se prononce pour la reconstruction de l’URSS.

Russie Laborieuse

Ce mouvement dirigé par V. Anpilov est issu d’une scission avec le PCOR. Il a été actif dans la période de 1993. Il se réclame de la reconstruction du PCUS.

les mouvements se réclamant de la renaissance du PCUS.

Après la dissolution du PCUS, la plupart des différents partis communistes des Républiques fédérées de l’URSS se sont transformés, en partis sociaux-démocrates ou en partis populaires assurant le pouvoir des anciens dirigeants communistes convertis à l’économie capitaliste. Mais, en Russie, Biélorussie et Ukraine se sont reconstitués des partis communistes plus ou moins influents. Dans certaines ex-Républiques de l’URSS, les partis communistes sont strictement interdits, c’est le cas par exemple dans les Pays Baltes et certaines Républiques d’Asie Centrale. Depuis 1993, des  partis issus du PCUS, ou qui s’en réclament, constituent une organisation supranationale. Le PCOR se réclame explicitement de son appartenance à cette instance supranationale nommée PCUS.

  1. Perspectives enseignements et questionnements

Il est évidemment impossible de lire dans une boule de cristal pour prévoir l’évolution sur le moyen et le long terme. Il nous est cependant possible de rendre compte des lignes de forces qui traversent la société russe. La première caractéristique, c’est que le processus de privatisation se poursuit tandis que dans le même temps se consolident les classes dominantes liées à la propriété capitaliste et à l’État. La seconde, c’est que la transformation de la structure de l’économie russe reste lente en particulier du fait de la crise liée au prix des ressources naturelles. La troisième, c’est que la Russie intègre progressivement le marché mondialisé y compris financier. Sa relation avec les puissances impérialistes « anciennes » est conflictuelle du fait de la nécessité pour ses propres monopoles de se tracer un chemin dans le processus de repartage du Monde. Si elle utilise dans ce sens ses anciennes relations, elle les mets à la disposition de ses propres besoins d’État capitaliste. La Russie cherche, avec les puissances montantes et tout particulièrement la Chine et l’Inde à contrecarrer les forces impérialistes de la triade USA, Union Européenne et Japon. Les relations économiques et politiques avec la Chine se sont développées de manière importante, elles font l’objet d’une véritable théorisation autour du concept d’Eurasie. Le modèle chinois est une référence constante du pouvoir comme elle l’est pour le PCFR.

Nous pouvons aussi constater que s’il y a des ruptures avec l’URSS, il y a aussi des continuités. Compte-tenu de l’opinion russe au sujet de l’URSS et plus particulièrement de la période où Staline en est le dirigeant, l’utilisation de cette période fait l’objet de préemption par les forces politiques et sociales. Si le parti de Poutine : Russie Unie se sert de l’image de l’URSS et de Staline, en particulier dans Initiative pour l’anniversaire de la naissance de I.V. Staline le 18 décembre 2015 organisée par le PCFR au mur du Kremlin.

les commémorations patriotiques, cela n’a cependant rien à voir avec une sympathie pour le socialisme, cela reflète une aspiration à une Russie capitaliste forte qui a besoin, pour accroître l’exploitation du travail salarié, d’extirper de cette période le caractère socialiste de la société en se livrant à un anti communisme forcené. C’est le  cas aussi du parti de Jirinovski le PLDR qui se place sur le terrain de l’anti soviétisme. Le PCRF de son coté fait abondamment référence à Staline pour souligner son rôle dans la construction de l’URSS et dans la Grande Guerre Patriotique tout en fabriquant une imagerie qui fusionne le concept de socialisme avec l’Orthodoxie.

Cette tendance n’est pas nouvelle puisqu’à l’élection présidentielle de 1996 l’affiche du PCFR appelant à voter pour Ziouganov montrait une forêt de drapeau rouge entourant le Christ-roi et que ce candidat affirmait à la télévision que le drapeau rouge était celui du Grand Prince Vladimir !

Le PCOR, par la plume de R. Osim, invoque Staline et le stalinisme non pas comme une nostalgie du passé, mais comme : « Nous sommes pour le stalinisme qui entraîne les masses à la lutte révolutionnaire et pas à le canoniser par nostalgie pour le passé ». V.I. Tioulkine, le secrétaire général du PCOR ajoute : «Non seulement le Stalinisme est indissociable de la construction du socialisme en interne mais aussi au plan mondial puisque le socialisme dans un seul pays a été conçu uniquement pour Staline comme une étape sur la voie de la révolution mondiale ».

Il y a donc plus qu’une nuance dans ces appréciations qui confirment les profondes divergences entre les deux principaux partis se réclamant du marxisme, de Lénine et de la révolution d’Octobre.

On le voit, la défaite de l’URSS a entraîné, non seulement de profonds bouleversements économiques, sociaux, juridiques et politiques, mais aussi a amené à une relecture de l’histoire permettant d’intégrer pour les forces sociales et politiques une période de 70 années dans une visée perspective. Les forces révolutionnaires qui se reconstruisent avec de grandes difficultés n’échappent pas à cette réalité. En même temps qu’elles doivent se situer dans la lutte des classes d’un capitalisme monopoliste particulièrement agressif, elles doivent dans leur visée révolutionnaire intégrer l’histoire de la Révolution qui a donné naissance à la première expérience socialiste : l’URSS.

Michel Gruselle

Paris 12 mai 2016