Résumé R. Herrera

Rémy HERRERA :

L’Internationalisme Cubain : La révolution au-delà d’elle-même.

Conférence no 7 du Jeudi 4 juin 2015 à l’Amphi Roussy (Campus des Cordeliers)

Michel Gruselle introduit la séance en remerciant l’Université et en rappelant les contraintes matérielles et horaires. En principe, notre cycle de conférences continuera l’année prochaine, la salle étant réservée pour une série de jeudi (même heure). On fera circuler l’information largement.

Aymeric Monville présente ensuite Rémy Herrera, économiste marxiste et chercheur au CNRS qui va nous parler du livre de Piero Gleijeses dont il a rédigé la Préface, “Missions en conflit. La Havane, Washington et l’Afrique (1959-1976)“, mais surtout le contexte dans lequel il s’inscrit. Malheureusement, le livre n’est pas encore sorti de chez l’imprimeur et on ne peut vous le présenter physiquement ici. Mais c’est pour bientôt.

Rémy Herrera :

Introduction.

Mon propos n’est pas de vous raconter le livre de Piero Gleijeses, mais de vous donner une inter­prétation personnelle de son thème, interprétation que résume le titre de cette conférence “L’inter­nationalisme cubain : la Révolution au-delà d’elle-même.”

Je commencerai par trois postulats :

(1) L’impérialisme, l’impérialisme américain aujourd’hui, est une réalité.

(2) Depuis plus d’un siècle, il ne cesse d’écraser toute tentative d’autonomie économique et de résistance démocratique.

(3) Si, en dernière analyse, les responsabilités sont à rechercher au niveau de la haute finance, les projets de celle-ci sont traduits en actions politiques par le gouvernement des Etats-Unis, avec l’aide ses services secrets et des liens qu’ils entretiennent avec les mafias.

Je préfère commencer par ces trois postulats qui sont des évidences absolues à Cuba et en Amé­rique latine, mais ne le sont généralement pas dans les pays du Nord, aux USA, en Europe, chez nous, et même – ce qui est plus ennuyeux – chez nous, “à gauche”. De ces postulats découlent trois propositions :

(1) L’anti-impérialisme est la pierre de touche d’un véritable programme de gauche (de progrès),

(2) L’Amérique latine reste un “front” de la lutte anti-impérialiste,

(3) Sur ce front, Cuba reste un acteur essentiel : il fut par exemple la clé de la “révolution boliva­rienne” au Venuzuela.

Les Etats-Unis entretiennent 935 000 soldats ou personnels militaires, déployés sur 1150 bases ou installations militaires à travers le monde. Et ceci sans oublier les points d’appui fournis par leurs alliés, la Grande-Bretagne, la France, etc. Ces chiffres sont au-dessus des records historiques du temps de paix, atteints en 1946.

Rappel : En 1898 eut lieu – selon Lénine – la première guerre impérialiste avec le débarquement de troupes US à Cuba. A cette date, les soldats étatsuniens étaient déjà sortis plus de cent fois de leurs frontières.

La réalité de l’impérialisme américain est une évidence, partout en Amérique latine. Il est d’autant plus choquant qu’ici, beaucoup d’intellectuels, même de haut niveau n’y croient pas et ne veuillent même pas en entendre parler.

  1. L’internationalisme de la révolution cubaine a des racines lointaines et s’est développé sous des formes différentes au cours du temps.

L’internationalisme a des origines lointaines qu’il faut sans doute chercher dans les idéaux de la Révolution Française, dans l’idéal d’une nation libre et qui libère les autres de l’oppression féodale. Un idéal qui, par exemple, a permis l’élection d’un Prussien à la Convention (Klotz). Francisco Miranda a combattu à Valmy avant de tenter, comme Bolivar et avant lui de libérer l’Amérique latine. Le bataillon du général de Sucre qui gagna la bataille d’Ayacucho (1824) contre les troupes espagnoles et assura l’indépendance du Pérou était un bataillon international composé de volontaires. Quelques temps plus tard, on a vu les étrangers volontaires de la Com­mune de Paris (Dombrowski), puis, au XXe siècle, le Komintern et le Congrès des Peuples d’Orient à Bakou (1920) et les Brigades Internationales de la Guerre d’Espagne (1936-1939). Dans ces Brigades combattirent plus de 1000 Cubains et le souvenir de ces trois ans de guerre en Espagne a joué un rôle fondamental dans la conscience cubaine, bien avant la révolte qui éclate en 1956.

Dans le cas cubain, l’internationalisme s’est nourri d’un sentiment national très fort car Cuba est resté dans un statut colonial beaucoup plus longtemps que les autres pays d’Amérique latine, d’abord colonie espagnole, puis néocolonie américaine.

La série de révoltes qui compose la “guerre de dix ans” (1868-1878) avait déjà vu apparaître de grandes figures au sein des armées d’esclaves (Carlos Manuel de Cespedes). Ce qui annonçait la 2e Guerre d’Indépendance (1895-1898), dirigée par le parti révolutionnaire fondé par José Marti et les généraux Gomez et Maceo. Puis, l’intervention étasunienne mit l’Espagne hors jeu (traité de Paris, 1898) et les USA occupèrent militairement le pays jusqu’en 1902. Cuba devint un pays satellite comme tous les petits pays de la région qui constituent le “pré carré” des USA. Un exem­ple bien connu est celui du coup d’Etat de la CIA au Guatemala (1954), pour renverser le prési­dent Arbenz qui avait osé annoncer une réforme agraire hostile aux intérêts de la toute puissante United Fruit étatsunienne. Fidel Castro et le “Che” se sont illustrés lors de cet épisode.

Il apparaît donc que les sentiment national cubain s’enracine profondément dans les luttes anti-impérialistes, anti-esclavagistes et antiracistes du XIXe siècle. A Cuba, les luttes anti-esclavagis­tes et la révolution des Noirs ont commencé il y a bien longtemps, inspirés par l’épopée du héros haïtien Toussaint Louverture. On sait depuis longtemps le lien étroit entre esclavagisme et capitalisme. Le système esclavagiste sous contrôle colonial espagnol fonctionnait sous l’égide étatsunienne car il existait un florissant commerce des esclaves entre Cuba (compagnies sucriè­res) le Mexique et le sud des Etats-Unis. A une certaine époque, les sucriers cubains avaient même essayé de faire légaliser par les Cortès espagnoles un esclavagisme blanc.

Ainsi, dans l’histoire de Cuba, les luttes nationales, sociales, anti-impérialistes, antiracistes et anti-esclavagistes sont étroitement liées.

  1. Le projet cubain

Oserai-je parler de l’URSS? Eh bien oui, il le faut car on ne peut accepter toutes les calomnies qui ont été déversées sur elle, les campagnes dites “antitotalitaires”, etc. Il se trouve que les pays du Comecon et l’URSS ont beaucoup aidé Cuba jusqu’à lui permettre d’atteindre une relative pros­périté, dans les années 1980. Ce n’est pas le socialisme qui a amené la pauvreté à Cuba mais le blocus éatsunien et l’arrêt du commerce avec les pays socialistes après la chute de l’URSS.

Pour autant, Cuba n’était pas une mini-URSS en Amérique latine. La preuve : l’internationalisme cubain qui a poussé tout naturellement le pays à agir hors de ses frontières. L’idée est ancienne : pour José Marti, la patrie, c’est l’humanité. Les engagements de Cuba à l’extérieur ont influé sur ceux de l’URSS auxquels ils ont parfois donné un nouveau sens. Cuba a tenté de réconcilier l’URSS et la Chine car il était visible que le Vietnam était victime de cette querelle et qu’il devait lutter seul contre l’impérialisme le plus puissant.

Entre parenthèses : pourquoi cette querelle sino-soviétique? La chose n’a jamais été étudiée.

Le choix stratégique de la révolution cubaine était de combattre l’impérialisme partout était à la fois offensif et défensif. Il s’est traduit par des missions militaires et civiles, entreprises dans la période 1961-1991, c’est-à-dire à l’époque où la question nationale était décisive pour beaucoup de pays anciennement colonisés. Dans la dernière décennie de cette période les luttes révolution­naires anti-impérialistes perdaient malheureusement de l’énergie tandis que le moteur révolution­naire de l’URSS s’essoufflait.

  1. On peut distinguer trois phases.

(a) Avant le milieu des années 1960, la révolution cubaine établit des liens et entreprend des actions symboliques ou ponctuelles. Ensuite (b) c’est une véritable politique d’intervention anti-impérialiste qui se met en place au cours des années 1960, et qui accompagne le grand mouve­ment d’indépendance et de développement des peuples anciennement colonisés. (c) Enfin, dans les années 1970 et 1980, on voit des interventions lourdes où les soldats cubains participent à de véritables guerres de libération, en Angola et en Ethiopie.

Dès 1959, des contacts ont été pris entre les nouveaux dirigeants cubains et les forces progres­sistes du Tiers-Monde. Les Cubains n’avaient alors pas grand chose à proposer. Néanmoins, ils manifestèrent leur solidarité au moment du tremblement de terre du Chili en 1961, alors que ce pays était dirigé par un gouvernement réactionnaire anticommuniste (gouvernement Alessandri). En cette année 1961, la révolution cubaine déclara son caractère socialiste et Cuba accueillit des étudiants de la Guinée-Konakry. Ensuite, les Cubains envoyèrent une mission militaire et médicale spéciale en Algérie au moment de la guerre des sables (1963) déclenchée par le Maroc avec l’appui de la France et des USA pour faire tomber Ben Bella.

Le tournant, c’est la détérioration de la situation avec les Etats-Unis consécutive à l’échec de l’opération de la CIA à la Baie des Cochons (avril 1961), du rapprochement de Cuba avec l’URSS et de la crise des fusées (1962) qui fut suivie du blocus étatsunien.

Cuba a organisé d’abord des actions de soutien en Amérique latine (le “Che” sera tué en Bolivie, en 1967) et en Afrique, à la suite des contacts avec le gouvernement de Patrice Lumumba au Zaïre (ex-Congo Belge). En 1965 est arrivé d’abord un groupe de 14 guérilleros dirigé par le “Che”, suivis d’une colonne d’une centaine de volontaires, puis d’une deuxième colonne. Cuba a également soutenu la lutte du mouvement d’indépendance des Iles du Cap Vert dirigé par Amilcar Cabral.

Cuba a tenté de faire le lien entre le Mouvement des nations dites “non-alignées” (Bandung, 1955) et les luttes de l’Amérique latine. Un grand absent dans les luttes de libération du Tiers-Monde : Mehdi Ben Barka.

Dès 1961, Cuba a commencé à s’engager aux côtés…

– du mouvement de libération du Mozambique (FRELIMO),

– du mouvement de libération de l’Angola (MPLA) d’Agostinho Neto,

– du gouvernement de l’Ethiopie. A l’époque, l’URSS soutenait son adversaire l’Erythrée dissidente. La politique cubaine changera la politique soviétique qui soutiendra ensuite l’Ethiopie,

– du Front Polissario sarahoui,

– du gouvernement de Thomas Sankara au Burkina Fasso,

A cette époque, les USA et la France (y compris la France de de Gaulle) cherchent à liquider tous les dirigeants progressistes. Lumumba est assassiné en 1961, Mehdi Ben Barka en 1965 , Amilcar Cabral en 1973, Thomas Sankara en 1987. Et le “Che” lui-même est exécuté en Bolivie en 1967.

Après la guerre des Six jours (1966), la Syrie et l’Egypte ont cherché à reconquérir le terrain per­du et des tankistes cubains se sont retrouvés sur le plateau du Golan, sans avoir à combattre il est vrai. Pendant la guerre du Vietnam, 450 000 Cubains se sont présentés pour aller combattre l’impérialisme américain au Vietnam : preuve du sentiment internationaliste très profond à Cuba.

Bilan

Entre avril 1965, lorsque arrive la première colonne du “Che” au Congo, et mai 1997 (date du départ d’Afrique des derniers soldats cubains), les contingents cubains à l’étranger ont totalisé jusqu’à 55 000 soldats. Au total, 386 000 cubains se sont relayés pour combattre dans une dizaine de pays. L’ampleur de cet engagement se mesure au fait que Cuba compte aujourd’hui 11 millions d’habitants. Les engagements les plus massifs ont eu lieu à partir de 1975 en Angola (opération “Carlota”) et de 1978 en Ethiopie. Dans ce dernier pays, les Cubains ont défendu l’Ogaden et repoussé l’avancée des troupes de la Somalie “socialiste”, initialement soutenues par l’URSS. Celle-ci a opéré ensuite un virage à 180° pour revenir avec Cuba du côté de l’Ethiopie.

Dans la même période, rappelons-le, les USA qui soutenaient le dictateur Batista contre l’insur­rection castriste (1959-1961) et organisé les débarquement de la Baie des Cochons (1961), ont fomenté le coup d’Etat des militaires brésiliens anticommunistes contre le président Goulart, et le Plan Condor qui aboutit aux coups d’Etat de Pinochet contre le gouvernement Allende (Chili, 1973) de Bordaberry (1973, Uruguay) et de Videla (Argentine, 1976), comme au soutien de diverses dictatures (Stroessner au Paraguay), aux “Contras” nicaraguayens (1981-1985), à la mini guerre coloniale anglaise aux Malouines (1982) et ils sont intervenus directement pour changer le gouvernement de l’Ile de La Grenade (1983), opération au cours de laquelle le premier ministre Maurice Bishop (ami personnel de Fidel Castro) fut assassiné.

  1. L’Opération Carlota en Angola

La montée en puissance de l’opération Carlota en Angola a eu lieu à la demande expresse (un véritable appel au secours) du MPLA d’Agostinho Neto. Un an après la Révolution des œillets au Portugal (1974), la révolution angolaise était menacée par l’Afrique du Sud de l’apartheid qui prit le relai des colonialistes portugais. Les troupes sud-africaines étaient appuyées par des mercenai­res venus du Zaïre et les forces anticommunistes locales, l’UNITA (du bandit Jonas Savimbi), le FNLA d’Holden Roberto et d’un troisième mouvement fantoche, le FLEC (enclave de Cabinda), tous bénéficiant de l’appui de la France et des USA.

Les combats commencèrent au Nord (enclave de Cabinda, près du Zaïre), puis se déplacèrent au Sud et le FNLA commença sa marche sur Luanda. Grâce aux Cubains, il fut arrêté à 30 kms de la capitale, à la bataille de Kifangondo (novembre 1975). C’est alors que les premiers prisonniers sud-africains blancs démontrèrent l’implication directe de l’Afrique du Sud. Holden Roberto dut quitter l’Angola : où se réfugia-t-il? Eh bien, en France, la “patrie des Droits de l’Homme” (!)

Les Cubains combattaient et entraînaient l’armée angolaise, les soviétiques fournissant les armes. Au cours des batailles de Uige, au Nord (fin 1975) et de Medunda, au Sud (début 1976), les con­tre-révolutionnaires pro-apartheid et leurs mercenaires furent mis en déroute.

Mais le conflit allait redémarrer, cette fois contre l’UNITA, sur le fleuve frontière avec l’Afrique australe (la Namibie, qui était à cette époque occupée par l’Afrique du Sud) et il trouva son apo­gée à la bataille de Cuito Cuanavale (février 1988), la plus grande bataille en Afrique depuis celle d’El Alamein, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Une bataille qui précipita la chute du régime raciste de l’apartheid.

Cette victoire fut un événement considérable, auquel bien peu de nos historiens s’intéressent. L’armée sud-africaine fut défaite sur terre et dans les airs. Ayant perdu la supériorité aérienne, elle ne pouvait plus entreprendre d’opérations militaires significatives et se retira. Avant cette bataille, jamais le régime de Pretoria n’avait infléchi sa ligne politique. Après elle, le gouver­nement de Pier Botha fit des concessions qui permirent les Accords tripartites de New York (Angola, Cuba, Afrique du Sud), en décembre 1988. Ces accords consacraient l’indépendance (réelle) de l’Angola et l’autodétermination de la Namibie. Ce furent ensuite la chute du régime d’apartheid et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela et de l’ANC. Aujourd’hui, les visiteurs peuvent voir, à Pretoria, le “mur du souvenir” de Freedom Park où sont inscrits, à côté des noms des héros de l’histoire sud-africaine, ceux des 2077 soldats cubains morts pour l’Afrique et pour l’internationalisme. L’action des combattants cubains a eu des conséquences gigantesques.

  1. Les Missions civiles et de Santé.

Ces Missions ont donné une substance nouvelle à l’éthique internationaliste et humaniste de la révolution cubaine. Par parenthèse, ces missions sont aujourd’hui présentes dans 56 pays, souvent dans des conditions difficiles, et totalisent environ 60 000 travailleurs cubains de la Santé. La moitié sont des médecins et la moitié (médecins ou autres) sont des femmes. On compte plus de médecins cubains en mission dans le monde que de médecins des pays du G7 (36 000). Dans la dernière période, par exemple, 15 000 volontaires cubains se sont proposés à l’appel de l’OMS pour lutter contre le virus Ebola en Afrique, (moins de 500 sont partis). Au total, le bilan des mis­sions civiles et médicales est le suivant :

– 595 000 missions humanitaires dans 388 pays

– 2,8 millions d’accouchements

– 2 millions d’enfants vaccinés

– 1,2 milliards de consultations médicales

Dans le même temps, 40 000 jeunes des pays du Sud sont allés faire des études de médecine à Cuba, comme boursiers de Cuba. Y compris des jeunes des USA, car il y a des régions et des quartiers aussi pauvres qu’au Tiers-monde aux USA.

Où est le Bien, où est le Mal? Où est le véritable humanisme et où est “l’humanitarisme-specta­cle”? Nous, Français, on nous a gavé avec les “french doctors” et les ONGs du type “Médecins sans frontières”, ou “Médecins du monde” qui, malgré quelques actions individuelles magnifiques (il y en a, ne dénigrons pas) sont des ONGs politiques. En comparaison, les missions cubaines sont des actions d’Etat, des actions politiques de solidarité qui caractérisent la révolution cubaine. Qui caractérisent un peuple qui a réussi à “tenir bon”, malgré le blocus américain et la chute de l’URSS.

Les gouvernements néofascistes installés et soutenus par les USA en Amérique centrale ont fait beaucoup de dégâts (des centaines de milliers de morts). Cuba a envoyé beaucoup de volontaires pour lutter contre les fascistes, à l’époque de l’agression des “Contras” contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua, par exemple.

Après Tchernobyl, ce sont près de 20 000 enfants ukrainiens qui ont été soignés à Cuba et cette aide médicale continue aujourd’hui, malgré le fait que beaucoup de hauts fonctionnaires ukrai­niens se soient déclarés ennemis du “communisme cubain”.

Ces missions civiles et médicales sont représentatives des principes d’une révolution qui continue à revendiquer ses origines marxistes, léninistes et communistes.

Discussion :

Première série de questions :

Q1 : (Claude Lacaille) J’aurais aimé que vous évoquiez les problèmes actuels de la révolution cubaine avec les négociations avec Obama et la fin éventuelle du blocus américain.

Q2 : (Kamila) Vu d’Algérie, un grand merci à votre exposé. A l’annonce de la victoire de l’Angola on a fait la fête à Alger. Soulignons que les Cubains sont toujours là, particulièrement en ophtalmologie. Si nous avons “tenu” au temps de la guerre civile et des bombes, c’est grâce aux Cubains.

Q3 : (?) Il faut souligner l’importance économique de ces missions civiles, médicales, éducatives, etc. En 2014, Cuba a reçu 7 milliards d’euros pour ces missions.

Q4 : (Anne-Marie) Avant que Castro n’arrive au pouvoir (1959), Cuba était le plus grand casino et le plus grand bordel de la région. Les maffias étasuniennes (Lansky) tenaient tout et l’on comprend bien pourquoi ces messieurs ont tout de suite fait la guerre à Castro et pourquoi ils ont assassiné Kennedy, s’il est vrai que celui-ci voulait négocier. Aujourd’hui, ces messieurs (ou leurs héritiers) ont blanchi leurs capitaux et ils se sont recasés dans les banques.

Réponses

Entièrement d’accord avec vous, les maffieux, Lansky et quelques autres, (je pense à Lucky Luciano qui, pourtant, était bien occupé en Sicile), étaient directement touchés par la révolution cubaine. Mais il faut voir plus loin. Au-delà des maffieux, il y a les banques (non maffieuses) qui sont devenues le pouvoir suprême. Par l’intermédiaire d’avocats d’affaires influents [par exemple : le cabinet des frères Dulles], elles font pression sur le pouvoir politique. Dans les dernières années du XIXe siècle, la guerre contre l’Espagne et l’indépendance de Cuba ont été voulues par les banques qui étaient déjà le cœur du système impérialiste américain. Il fallait contrôler Cuba, car ce petit pays se trouvait sur la route du Panama qui allait devenir – avec le canal que les USA terminaient avant 1914 – une chasse gardée américaine. Théodore Roosevelt fut l’homme de la situation et Cuba allait servir de relai aux banques, Morgan et Rockefeller principalement, pour leurs opérations “offshore”. Comme les lois étatsuniennes ne pouvaient s’appliquer à Cuba, tout le monde y trouvait son compte. Les maffieux sont très utiles pour certaines affaires et ceux-là vont coloniser les jeux, la prostitution, le travail des enfants, etc. En 1959, la révolution cubaine a redonné au peuple la terre, la santé, l’éducation et la fierté.

Le cœur du système capitaliste, c’est la haute finance, principalement étatsunienne. Si on oublie cela, on ne peut envisager d’action révolutionnaire.

Sur les autres questions :

– Sur les entrées de devises. Très important : Cuba donne l’exemple d’une alternative au tourisme mercantile qui rapporte surtout aux financiers étrangers et pas au pays d’accueil (prenez l’exemple de la Tunisie). Les missions civiles cubaines ont une vraie logique de développement gagnant-gagnant.

– Sur l’Algérie. Il s’agit d’un peuple frère pour le peuple cubain. La formation médicale en Algérie est encore assurée [en partie] par les Cubains (dialogue avec Kamila). Cuba et l’Algérie ont un point commun. En 1962, la moitié des médecins algériens sont partis. En 1959, il en a été de même pour la moitié des médecins cubains. Dans la dernière année de la lutte d’indépendance Cuba a envoyé des armes au FLN.

– Dans la période actuelle, de nombreux espoirs sont suscités par la “normalisation” des relations avec les USA, même si celle-ci reste incomplète. Tout le monde craint évidemment l’influence des capitaux et des agents extérieurs. Il est certain que les Cubains y ont réfléchi, mais sont-ils prêts? Souvenons-nous de ce que l’histoire de Cuba depuis 1959 est remplie d’étapes dont l’issue était incertaine. A chaque fois on se demandait : “Vont-ils tenir?” 1959 (victoire sur Batista), 1961 (Baie des Cochons), 1962 (crise des fusées, blocus). On ne peut faire aucun pronostic… Dans la “période spéciale” qui a suivi la chute de l’URSS, les Cubains ont tenu à bout de bras l’espoir du communisme malgré l’amputation de 80% de leur importations et une diminution de 35% de leur PIB. Ils ont “tenu” sans fermer d’entreprises ni restreindre leur système d’éducation et leur système de santé.

Cuba a joué un rôle plus important qu’il n’y paraît dans la dernière décennie. Hugo Chavez et la “révolution bolivarienne” du peuple vénuzuélien ont été largement la conséquence de la révolu­tion cubaine. Les médecins cubains sont toujours en mission à Caracas et 1500 étudiants véné­zuéliens étudient la médecine à Cuba. Ils sont choisis dans des familles pauvres car on s’est aper­çu que, dans ce cas, la propension des jeunes à retourner dans leur village ou dans leur “barrio” était beaucoup plus élevée que s’ils provenaient de milieux plus favorisés. C’est la leçon qui a été tirée des “ratés” : 80% des médecins érythréens formés à Cuba exercent maintenant en Espagne.

– Quel est l’impact? Et quel est l’impact de la dollarisation et du tourisme? Encore trop tôt pour le dire. Mais le plus important, c’est le souffle révolutionnaire qui est perceptible en Amérique latine. Partout où régnait auparavant des dictatures fascistes, en Colombie, au Mexique, etc. les choses changent.

Conclusion : un front anti-impérialiste commence à se reconstituer. L’Amérique latine bouge, l’Afrique bouge, la Chine et la Russie (où l’on trouve du bon et du mauvais) bougent. Ce sont les travailleurs du Nord, les travailleurs de nos pays, qui bougent le moins. ça ne durera pas éternel­lement.

Une deuxième série de questions :

Q5 : Sur l’Algérie. En 1964, il y eut la visite du “Che” et, en 1965, le coup d’Etat de Boumediene. Qu’en ont pensé les dirigeants cubains?

Réponse : Les Cubains n’ont censuré aucune information concernant les faits, ils ont seulement demandé de la retenue sur les jugements à l’égard des pays et des régimes alliés de Cuba.

Q6 : Vous êtes passés vite sur l’aide de Cuba au Chili. Le “Che” était médecin, Allende était médecin. Pourquoi aider le Chili de Pinochet?

Q7 : Dans le livre, il est question d’interventions gratuites de la part de Cuba, mais Cuba en avait-il les moyens?

Q8 : Je suis Haïtienne et j’aurais aimé que vous parliez de la gestion de la catastrophe humani­taire dans mon pays. Les médecins cubains sont formidables. Ils vont partout dans les campagnes et, de plus, Cuba forme des jeunes haïtiens. Malheureusement, beaucoup d’entre eux s’expatrient. En alphabétisation, les Cubains ont une méthode extraordinaire, la méthode “Yo si puedo“. Mais dans ces deux domaines, santé et éducation, on n’a pas le gouvernement qu’il faut. Le troisième volet, c’est l’agriculture. Dans les trois cas, je peux témoigner de l’internationalisme cubain.

Je suis choquée par ce que j’entends, par le fait que certains semblent dire que “l’humanitaire rapporte”. Rapporté au nombre de cubains morts dans les missions à l’étranger, combien coûte chaque mort?

Q9 : Je suis Martiniquais et je suis bien d’accord avec ce qui vient d’être dit : qu’est ce que les pays capitalistes exportent dans les pays pauvres? Daesh, l’Irak détruit, les mercenaires en Syrie et en Ukraine?

Q10 : Je suis bolivienne et tout à fait d’accord avec vous. Le plus important, c’est l’idéal que Fidel Castro a transmis au peuple cubain. Et il y a eu des résultats. Si vous prenez l’Afrique du Sud, avant et après Mandela ce n’est tout de même pas la même chose. Le “Che” est mort chez nous et après, on a beaucoup souffert. Mais son idéal est resté. Les médecins et les professeurs cubains ont parcouru le pays et ils sont très respectés. Depuis plusieurs dizaines d’années, les médecins cubains ont opéré 800 000 personnes.

D’où vient toute cette force? De l’idéal.

Réponses

Evidemment, il y a continuité entre les actions du “Che” et la politique de Fidel à Cuba et dans le monde. C’est important de le dire car on entend parfois dissocier le “Che” et Fidel. Non, le “Che” était le messager de Fidel et Fidel appartient à une certaine catégorie de grands révolutionnaires, Mao, Ho-Chi-Minh, etc.

La méthode “Yo si puedo” est très importante et elle a été mise au point par les Cubains dans une stratégie globale éducation – santé car les vieux ne pouvaient pas apprendre à lire (et donc trans­mettre) lorsqu’ils étaient atteints de cataracte. Les opérations de la cataracte ont été une spécialité des médecins cubains.

Sur le Chili : l’aide médicale cubaine n’a pas choisi d’aider Pinochet. Commencée sous Alessandri elle a été poursuivie après, sous Eduardo Frei, sous Allende et sous Pinochet. Alessandri était l’adversaire d’Allende aux élections de 1970. Durant l’expérience chillienne d’Allende, les Cu­bains ont mis en garde l’Unité Populaire contre les risques qu’elle prenait et qui pouvaient en faire une nouvelle “Commune de Paris”, massacrée par son manque de précautions et son angélisme. Malheureusement le fait s’est reproduit à La Grenade où Maurice Bishop, fils spirituel de Fidel Castro, a été assassiné en relation avec l’intervention étatsunienne d’octobre 1983.

Et a propos de la gratuité des soins médicaux, disons qu’elle est clairement modulée. Le gouver­nement cubain a dernièrement demandé une participation financière aux gouvernements qui en avaient les moyens, pour les soins dispensés aux enfants ukrainiens, par exemple, pour les mis­sions médicales au Quatar, pour les études d’étudiants étatsuniens à Cuba, etc.